dimanche 25 janvier 2009

Quarantièmes rugissants


Les passages obligés, Elisabeth n'avait jamais aimé ça. Noël, le jour de l'an, les anniversaires. Se congratuler chaque année à la même date, trop convenu. Mais cette fois-ci, impossible d'y échapper: elles étaient quatre copines, amies depuis toujours, et elles allaient toutes avoir quarante ans dans l'année. Emilie n'avait laissé aucune échappatoire «Le club des quatre a quarante ans, Zabeth; le truc à ne pas manquer!» Elisabeth s'inclina, et se mit en quête d'un cadeau pour Emma, la première de la bande à franchir le cap.
Le samedi suivant, les filles investirent La Petite Mignonne, où elles avaient établi leur QG. A la fin du repas, chacune y alla de son petit discours et de son présent. Vers onze heures, les copains musiciens de Laurent, le patron du restaurant, avaient débarqué et invité les clients à se joindre à la fête. Le jour pointait quand on se quitta.
Deux semaines plus tard, Emilie devenait une quadra. Laurent fut à nouveau mis à contribution. Tandis qu'il apportait une énorme forêt noire, le dessert préféré d'Emilie, celle-ci recevait d'Emma un pashmina bordeaux; d'Elisabeth un coffret à bijoux en ébène; d'Elodie une petite baignoire en céramique rose contenant un baume à la rose. Les trois autres échangèrent discrètement un regard perplexe: c'était exactement la même que celle qu'elle avait offerte quinze jours plus tôt à Emma. La réplique de la baignoire bleue renfermant un onguent à la lavande, de la verte parfumée à la verveine et de la jaune aux senteurs de vanille qui trônaient sur les étagères de sa salle de bains.
Le 28 janvier, ce fut à Elisabeth de souffler ses quarante bougies. Pendant que Laurent servait un alléchant délice à la framboise et à la mangue, elle découvrait le ravissant collier en nacre qu'Emma avait choisi à son intention et le Home-Bag en toile cirée qu'Emilie avait déniché chez Marie Papier. Quant à Elodie, elle la gratifia, de l'air le plus naturel du monde… d'une baignoire en céramique rose. C'en devenait ridicule. Parfaitement ridicule ou totalement émouvant. Entre rire et larmes, Elisabeth leva son verre: «Happy bathday, les filles!»
Photo: fld

samedi 10 janvier 2009

Un froid de gueux




Chaque soir, il venait se terrer au pied du mur, au fond d’une ruelle, tout près de République. Avec le temps, il avait récupéré quelques vieux cartons et s’était confectionné une sorte de banquette, sur laquelle, quand le sommeil l’envahissait, il s’allongeait. Pelotonné, recroquevillé pour se protéger du froid ou de la pluie. Des gamins du quartier avaient tagué un drôle de truc sur le mur. «C’est ta mitraillette, Momo, pour s’ils veulent te faire déguerpir», plaisantaient-ils lors de leurs visites régulières. On l’aimait bien Momo, tranquille, pas très causant, sauf quand il piquait un coup de gueule: «Rgard'ça, veulent même pas nous voir.»
Alors, lorsqu’on s’aperçut qu’un soir, et un deuxième, pendant toute une semaine, puis une autre encore, la place de Momo restait vide, on s’inquiéta. Est-ce qu’il gisait quelque part alentour, blessé ou malade? La police l’avait-elle «mis au chaud»? Avait-il trouvé un meilleur refuge? Peut-être pour conjurer le mauvais sort, les gamins couvrirent les murs de la ruelle de nouveaux graffitis: deux chats, le portrait d'une inconnue, Bugs Bunny, auxquels vinrent s'ajouter un poing brandi, l'oncle Sam, trois coquelicots et, sans doute en désespoir de cause, un énorme Fuck the fuckers. Comme on se rend chez un vieux copain, les «sans» du quartier débarquaient «Chez Momo», histoire de causer un peu. Petit à petit, ils vinrent moins souvent, puis plus du tout.
Lundi 5 janvier, 22h30.
– Merde, alors!
–J'savais pas qu'y avait quelqu'un.
Bordée d'injures.

–J'savais pas qu'c'était ton coin. J'pouvais pas savoir.
Rugissements.
L'intrus fait mine d'abandonner la place.
–J'tai pas dit d'te tirer. Mais fais gaffe où tu t'poses, putain.
Le propriétaire des lieux remet de l'ordre dans ses cartons, s'enroule dans une vieille couverture, une bouteille à portée de la main. Son «coloc» s'installe sans moufter.
Il fait très froid.
photo YLD