samedi 23 janvier 2010

And sympathy is what we need my friend


Soldes. Deux fois par an, ce mot déclenche chez le consommateur –la plupart d'entre nous, donc– un réflexe quasi pavlovien. Pull, jupe, chaussures, peu importe, il lui faut l'affaire de la saison. Je sacrifie au rite. Dès l'ouverture du magasin, j'arpente les rayons, joue des coudes, fouille, farfouille, l'œil aux aguets. Je rafle deux 30%, conquiers de haute lutte un 50%. Ayant brillamment passé les éliminatoires, je fonce vers l'essayage, tiens la distance, coiffe traîtreusement au poteau une concurrente dans la lune et, victorieuse, m'engouffre dans la cabine qui vient de se libérer. J'enfile la première pièce de mon butin, ouvre le rideau et recule de quelques pas pour juger de l'effet. Miroir, gentil miroir…
-Sympa, ce jean, adjuge, sans que je lui ai rien demandé, un vendeur préposé au rangement des recalés abandonnés par des clientes trop pressées.
Bof, si on veut. Changement de costume et nouvelle inspection.

-Sympa la coupe, arbitre mon coach.
Là, je suis assez d'accord. La robe maintenant.
-Sympa, ce petit modèle, décrète l'expert.
Une vision d'horreur me glace les sangs: accoutrée de sympathie au bureau, affublée de sympathie au restaurant, attifée de sympathie à la prochaine fête où je serai invitée.
Je renonce à mes trophées, tandis que le fashion consultant, sûr de son fait, gratifie ma voisine de cabine d'un enthousiaste «Sympa la couleur».

Adieu rabais, remise, ristourne! J'aurai coûte que coûte un jean bien coupé, une robe habillée ou sexy, des tenues originales, élégantes, seyantes, ravissantes, affriolantes…

Photo: '50, éd. de La Martinière

dimanche 10 janvier 2010

Malheur aux vaincus


La victoire n'est jamais définitive. Jusqu'au bout, je devrais remonter sur le ring, malgré la lassitude. Lorsque je raccrocherai, ce sera pour de bon, vaincu par KO debout. Jusque-là, mon adversaire ne me laissera pas de répit, remettant sans cesse son titre en jeu, lui qui n'a rien à perdre. Depuis le temps qu'on s'affronte, je connais sa tactique. Il fait mine de jeter l'éponge, de chercher un compétiteur à sa mesure, puis revient à la charge. Convaincu qu'il n'y a pas d'autre issue, je ravale ma rage et enfile une fois encore les gants. Assis dans le coin rouge, je jauge mon challenger, me mets en condition. Dès que le gong retentira, le manœuvrer, être plus rapide que lui, lui foutre la pression en permanence, ne pas le laisser prendre l'offensive.
Premier round, je me dérobe, me balance pour éviter qu'il ne m'atteigne. Rien à faire. Il s'économise, esquive habilement un jab à la tête, riposte par une rafale de directs au corps. Je suis à terre. J'entends l'arbitre scander les secondes: un, deux, trois, quatre, je dois me reprendre, cinq, six. Je me relève, titubant, porte un coup en aveugle au champion toutes catégories, sachant déjà que le verdict sera sans appel. Il me balade un moment, puis me pousse dans les cordes et me délivre une série de crochets du droit. Je suis sonné. A la dernière reprise, je tente le corps-à-corps; l'accrocher s'il le faut, le neutraliser le plus longtemps possible. Me sentant à l'agonie, il se dégage et me cueille en uppercut. Touché de plein fouet, je m'écroule.

Dans l'obscurité de mon cerveau, une sirène hurle. Ambulance? Une lumière verte, crue, douloureuse, me perce la rétine. Un écran à diodes clignote. Moniteur ECG? J'ouvre péniblement les yeux. Mon radio-réveil affiche 7h30. Je me lève, la tête dans un étau, le corps moulu.
Un jour, je l'enverrai au tapis cette saloperie d'insomnie.

Photo Antonio Recalcati, Protesta n°1