samedi 25 septembre 2010

Chatteries


Qu'est-ce qui lui a pris de l'installer chez elle? Nous filions des jours heureux, le parfait bonheur. Elle s'occupait amoureusement de moi et je n'avais d'yeux que pour elle. Dans nos jeux, nos ébats étaient empreints d'une tendre complicité. Je lui ai tout de suite fait sentir, à l'intrus, l'importun, qu'il dérangeait, qu'il n'avait pas sa place ici. Je lui ai manifesté de la froideur, puis une franche hostilité, qui, dès que l'occasion se présentait, se muait en une agressivité sournoise. Il faisait semblant de ne pas comprendre. Alors, j'ai joué l'indifférence, je prenais mes aises, insolemment, effrontément. Peine perdue, je l'avais toujours dans les pattes. L'hypocrite feignait parfois de me dorloter pour l'émouvoir, la charmer. Il essayait de m'amadouer pour mieux m'évincer. Dès qu'il nous laissait seuls, elle et moi, j'entreprenais de la reconquérir. Je faisais le pitre, elle riait, et j'en profitais pour me lover tout près d'elle sur le canapé. Son sourire attendri, ses regards affectueux disaient qu'elle m'aimait encore. Mais il ne tardait pas à réapparaître, et d'un baiser, d'une caresse dans ses cheveux étouffait mon fragile espoir. Délaissé, abandonné, au comble du malheur, je me suis enfui. J'ai erré plusieurs jours, rongé de chagrin, remâchant ma douleur. Puis il y eut cette autre maîtresse. J'allais enfin oublier mon inconstante. L'oublier? La trahir? J'en mourrais… Et c'est ainsi qu'un soir elle m'a trouvé pelotonné sur son paillasson, penaud, prêt à marchander son pardon. J'étais décidé à tout accepter, je me contenterai du second rôle, je serai le faire-valoir du bellâtre. Toi, alors…, murmura-t-elle, émue, en me poussant doucement dans l'appartement. Depuis mon retour, elle se plie à tous mes désirs, j'ai même gagné le droit de me prélasser sur son lit. Je règne à nouveau sur son cœur. A moi, les caresses, les cajoleries, les câlins. Miaou!
Photo YLD

vendredi 3 septembre 2010

God save us all


Révision de géographie, carte à l'appui, cours de rattrapage de géologie, petit traité de volcanologie, abrégé d'islandais –Comment ça se prononce? Qu'est-ce que ça veut dire? Les médias relatent par le menu le réveil grincheux d'Eyjafjöll, assoupi depuis deux cents ans. Et le volcan leur donne du grain à moudre. Après deux jours de calme, il crache de plus belle et son panache de cendres s'étend progressivement sur toute l'Europe. Les scientifiques ne se disent pas très inquiets; les politiques, moins encore. Par mesure de précaution, pendant quelques jours, les avions resteront cloués au sol et il est conseillé aux personnes fragiles de ne pas sortir. Rémi se sent en pleine forme et n'a pas prévu de voyage dans l'immédiat. Cette histoire de poussières est bien le cadet de ses soucis. Il s'amuse même du ton grandiloquent du ministre de la Santé, qui, au JT de 20 heures, avoue que la situation, toujours parfaitement maîtrisée, prend néanmoins un tour inattendu: le vent étant retombé, le nuage stagne au-dessus de la France. Aussi en appelle-t-il au sens civique de ses concitoyens, leur enjoint de rester chez eux jusqu'à nouvel ordre et de calfeutrer portes et fenêtres. Un numéro de téléphone sera rapidement mis en service, et les personnes ne disposant pas de suffisamment de réserves de nourriture ou ayant besoin de médicaments pourront faire appel à des équipes de secours.
Merde, 9 heures! Chaque jour, Rémi est réveillé à 8 heures par le bulletin d'information de France Inter. Ce matin, la radio diffuse une musique d'ambiance doucereuse. Sont encore en grève… TF1, Canal+, M6, W9 affichent le même écran noir, muet. Heureusement, qu'il y a le Net! Tous les sites, les blogs et les forums relaient un unique message: le nuage transporte des bactéries mortelles, les pouvoirs publics sont dépassés, tous aux abris. Des bactéries mortelles? Ils n'en parlaient pas hier. J'ai pas pu zapper ça… Couette, serviettes de toilette, rideaux, jeans et t-shirts, Rémi réquisitionne tout ce qui dans l'appartement peut servir à boucher le moindre interstice autour des fenêtres, sous la porte d'entrée. Il débranche le téléviseur, l'ordinateur, le grille-pain, le lave-linge, le réfrigérateur et, ultime geste de désarroi, éteint son portable.
Reclus trois, quatre, cinq jours? Ayant épuisé le dernier paquet de Chipster, Rémi se résigne à se connecter: l'iPad risque d'être commercialisé en France avec un mois de retard. Sur le Web, on le déplore, s'en indigne, s'échange des tuyaux pour se procurer au plus vite l'indispensable tablette. C'est du délire! Sur France Inter, deux écrivains débattent avec passion de la frontière entre réalité et imaginaire. A la télévision, les habituelles séries et émissions de téléréalité ont repris leurs droits. Ce n'est pas possible, plus personne n'en parle! On est foutu. Ah, on est malin avec notre technologie, on va tous crever comme des rats! Moi, je veux finir en beauté…
A 1h45, les policiers enfoncent la porte de l'appartement de droite, au cinquième étage du 106, boulevard Richard-Lenoir à Courbevoie. Sono à fond. Une bouteille de whisky déjà bien entamée dans une main –une de vodka à moitié vide est abandonnée par terre–, une casserole dans l'autre, assis complètement nu sur la table basse du salon, Rémi martèle furieusement: We're the flowers in the dustbin We're the poison in your human machine No future for you no future for me NOO FUUUTUUUUURE…
La fin du monde n'ayant pas eu lieu, Rémi est embarqué pour tapage nocturne.
Photo:YLD