samedi 7 décembre 2013

Nomophobie*


Il n'est pas dans mon sac, ni dans la poche de ma veste. Dans celle de mon manteau? Je suis sûre de l'avoir emporté. Impossible que je l'aie oublié. Mais alors je l'aurais… Non pas ça!. Je bredouille des excuses incompréhensibles et me rue hors de chez Louis et Antonin. Tant pis pour le dîner. 
Je pique un sprint dans la rue du Chemin-Vert. Breguet-Sabin, qu'est-ce que je fais là? Je rebrousse chemin, bute sur un SDF, m'étale de tout mon long. J'ai cassé un talon, déchiré mes collants. Je reprends ma course en claudiquant rue Sedaine zut je tourne en rond j'accélère l'allure j'ai mal à la cheville, suis en sueur essoufflée aïe un point de côté je m'affale contre un mur. Un couple me dépasse, me lance un regard craintif et force le pas. Du calme, respire, respire, lentement, profondément. Je peux pas. Je repars dans ma tête ça bourdonne ça vrombit ça vibre dans ma poitrine ça cogne le trottoir tangue envie de vomir je suffoque titube rue Merlin encore quelques mètres mon immeuble 46A44 66A46 le code merde et merde c'est quoi je trépigne me déchaîne sur le digicode peste cette saloperie de code la porte s'ouvre je bouscule le fils du troisième qui sort avec des copains m'engouffre dans le hall elle est bien déchirée la voisine petits crétins m'écroule dans l'ascenseur mes clés merde merde merde mes clés je vide mon sac sur le palier la serrure résiste cède enfin je m'effondre dans le salon. Là, sur la table basse. Il est là.
Appeler Louis et Antonin, envoyer un SMS à tous les autres, publier sur Facebook, Google+, Netlog et même Copains d'avant, tweeter sur Twitter. Liker, partager, suivre, poster. Echapper à la déréliction multimédiatique. 
* De l'anglais no mobile phobia: peur d'être privé de son téléphone portable. 
Photo: YLD