dimanche 14 avril 2013

Le couvercle de la vie

Le quai était désert, peut-être cinq ou six personnes, silencieuses, quasi absentes.
Après dîner, il était sorti. Prendre l'air, avait-il dit à sa femme. Il marchait sans but, d'un pas alerte pourtant, presque pressé. Il s'engouffra machinalement dans la bouche de métro. Sur le quai régnait le calme d'un milieu de semaine. Il n'y avait pas même un de ces  pauvres hères qui tentent encore de communiquer en invectivant ceux qui ne sont déjà plus tout à fait leurs semblables. Un coup d'épaule le projeta sur les rails. Jambes pendantes, il essayait de s'agripper aux cannelures de la bande de guidage. La rame entrait en station. On l'empoigna et le déposa à quelques centimètres de la bordure du quai. Il se releva lentement, stupéfié plus qu'effrayé. Comme égaré. Une forme grise l'accompagna jusqu'au café qui faisait face à la station.
Il commanda un double whisky. L'alcool l'exhumait peu à peu de sa torpeur. C'était maintenant. Le message était sans ambiguïté. Brutal, violent, mais évident, irréfutable: l'homme qu'il était encore une heure plus tôt était mort, broyé sous les roues du métro, définitivement enseveli dans le passé. Il avait basculé. Cette fois-ci, pas d'échappatoire, pas de dérobade. Il retira mille euros au distributeur, loua une chambre pour deux nuits dans un hôtel de la rue Saint-Denis. Son téléphone sonna, sa femme commençait à s'inquiéter. Il ne décrocha pas. Il employa la matinée du lendemain à l'achat de tous les accessoires et produits dont il allait avoir besoin, se composa une garde-robe et rentra à l'hôtel. Il passa en revue ces emplettes. Il n'avait rien oublié. La chasse-d'eau engloutit son alliance. Il se délestait de quinze ans de coupable simulation, de l'odieuse illégitimité où il était séquestré. Il prenait corps.
Il était attendu à dix-sept heures au Libertinata. Il montrerait ce qu'il savait faire, et on verrait, lui avait-on dit au téléphone. Longue perruque blonde, body en dentelle rouge sur talons aiguilles, faux cils et bouche glossy, il fut Madonna,  Beyonce et Rihanna devant Mme Céleste, qui le consacra d'un regard connaisseur: «C'est parfait.Tu es sur scène ce soir. Comment t'appelles-tu?»
–Doria.
Photo: YLD


lundi 1 avril 2013

Transfuge

Certainement pas un combat singulier. Un furieux corps-à-corps, peut-être une lutte à mort. Tu me trompes et prends toutes les précautions pour que je n'en sache rien. Pas vu, pas pris. Chez toi, c'est un impératif catégorique. Cette fois, tu as perdu la partie, les dés étaient pipés.

Je désamorcerai ton rire frondeur. 

J'ai la preuve formelle de ton infidélité. Le mois dernier, tu as recommencé à avoir du boulot par-dessus la tête et à être d'astreinte le samedi. Un dimanche matin, pendant que tu prenais ton bain, j'ai installé un logiciel espion sur ton iPhone. Un agent secret, un mouchard, un indic. Je t'appelle sur ton téléphone et sans que l'appareil sonne ni s'allume, mon 007 décroche. Et là, ça devient intéressant, je te suis à la trace.

J'aurai raison de ton sourire subversif. 

J'ai assisté à ton tête-à-tête avec «Charlotte, mon ange», vos mots doux, vos taquineries coquines, vos sous-entendus polissons. Je me suis immiscée dans votre intimité. J'étais à l'affût de tes convoitises impudiques, j'épiais les halètements de ton plaisir exalté, les râles de ton corps assouvi. 

Je briserai ton regard moqueur.

Je ne me laisserai pas spolier. Tu es mon bien, j'en ai la jouissance et la pleine propriété. Désormais, tu es sous contrôle, sous haute surveillance. Je ne t'abandonnerai plus la moindre parcelle de liberté. Je stopperai net toute tentative d'effraction, expulserai l'intruse.

Je terrasserai ta belle assurance.

I'm watching you

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Je voulais hanter tes pensées, submerger tes sentiments, tourmenter tes désirs. Tu m'as comblée. L'application de rappel automatique que tu as téléchargée sur ton iPhone a converti mon espion en agent double, qui s'acquitte scrupuleusement de la mission que tu lui as confiée. Ta Mata Hari me balance tes flirts avec Léa, Manon et Dorothée; tes badinages avec Anna et Julie; tes enthousiasmes impétueux pour Fayza, Lisa, Daphné et Camille; tes déchaînements passionnés avec Gladys, Kim, Sofia, Justine et Laura; tes ivresses éperdues avec Victoria, Safia, Paula, Eglantine, Ophélie, Adama, Salomé…
Photo:YLD