dimanche 31 mai 2015

A voix nue


Sa voix. Mathilde en frémit. Langoureuse, veloutée, ferme pourtant. Envoûtante. Dimitri sculpte les mots, les nimbe d'une lumineuse opacité, les sertit d'une fougueuse irrésolution, les vernit d'une chatoyante subtilité. Ses phrases constellées d'ironie, de tendresse, d'insouciance, valsent, ondoient, voltigent. Il ne parle pas, il cadence, il polyphonise. Mélodique amoureux, amant atone, dissonant.
Ils avaient fait l'amour, en demi-ton. Un dernier baiser. Dimitri dormait déjà. Mathilde n'osait lui dire son dépit, ses attentes déçues. Son cœur avait son content. Son corps revendiquait sa part de bonheur, réclamait l'éloquence de la chair, la véhémence des sens. Elle passa une robe, enfila ses sandales et sortit dans la nuit. Elle courait droit devant elle, espérant fatiguer son désir. Elle arriva sur le port, enfiévrée, à vif. Elle s'allongea sur le bord du quai, livrant à la pierre encore chaude sa sensualité trahie.
L'homme s'assit à côté de Mathilde. Il lui effleura l'épaule, caressa ses cheveux, vagabonda de ses seins à ses fesses, se faufila entre ses cuisses. Elle l'accueillit avec gratitude. Il la prit. Tandis qu'il égrenait son solo, la voix vibrante et suave de Dimitri possédait Mathilde, tenait la note, jusqu'à l'ultime vibrato.
Tous les trois ou quatre mois, les missions de Dimitri l'emportent vers un autre port. Mathilde le suit. Le Havre, Hambourg, Melbourne, Marseille, Shanghai, Rotterdam… Elle se donne à des corps inconnus, ne sait d'eux que leurs hésitations ou leur impatience. Caresses furtives, étreintes farouches, bouche goulue, sexe injonctif, assouvissements rageurs ou cléments. Elle se fait malléable. Seules la révulsent les chevauchées mornes et incertaines, qui outrent trivialement les déficiences de Dimitri.
Mathilde les veut anonymes, ne leur dit rien, jamais, à aucun, les écoute à peine. Ils partent vite.
Quelques cigarettes pour amadouer son chagrin. Elle rentre au petit jour livide.
Photo: YLD, collages de Huda