dimanche 4 décembre 2016

La Grande Boucle


Je l'ai! Le truc dont on rêve pendant des années. On se passe le film, on rembobine, on se le repasse, en accéléré, au ralenti. Il n'y a que ça qui compte. Moi, c'est le vélo. Pas une bicyclette de ville, un hollandais. LE vélo, conçu rien que pour moi. Du sur-mesure, ciselé par un orfèvre. Un virtuose de la petite reine, je n'en connaissais pas, mais je savais où le chercher. Pour le trouver, je mettrais le temps qu'il faudrait. La Vuelta, le Paris-Roubais, le Giro, le Tour de Lombardie, le Paris-Nice, le Tour des Flandres, le Milan-San Remo, le Tour France, je les ai tous faits. A chaque étape, je me glissais parmi les mécaniciens, les observais, les écoutais, les questionnais. J'ai fini par récupérer le numéro de téléphone de Bernard, un ancien de Team Sky qui s'est mis à son compte.
–Je m'occupe de tout, la commande du matériel, l'assemblage, les réglages. Si tu peux y laisser 15000 euros, tu l'auras ta bécane.
–Oui, mais il faut que je sois sûr.
Quand on lui parle mécanique, on ne peut plus l'arrêter Bernard. Il m'explique, précise, reprend, détaille. Un cadre monocoque en carbone, à la fois léger, résistant, rigide, aérodynamique. La hauteur adaptée pile-poil à ta morphologie (longueur de l'entrejambe x0,65; c'est pas sorcier). Des roues à rayonnage radial à l'avant et radial croisé à l'arrière; avec ça, tu as une tenue latérale et une réactivité optimales. Des jantes carbone et alu. Un dérailleur électronique avec dix vitesses à l'arrière et un plateau de trente à l'avant. Un pur-sang, racé, véloce, nerveux, puissant!
–Mais bon, tu peux avoir le plus beau bijou, si t'as pas le coup de jarret, tu claqueras jamais rien, m'avertit Bernard, après m'avoir livré ma Rolls high-tech.
–Ça c'est l'affaire de mon coach.
Mon coach, je l'ai à dispo sur mon smartphone. Un petit logiciel hyper personnalisé, strictement paramétré: la quantité de sucres lents à ingurgiter pour avoir assez de «carburant», le nombre de kilomètres à avaler pour acquérir une bonne résistance; les variations d'allure, les changements de cadence (savoir en garder sous la pédale pour gigler au moment propice et enrhumer tes adversaires, dirait Bernard). Et puis la gestion du stress, l'optimisation du mental.
Tous est prêt, installé (là, j'ai dû me débrouiller tout seul, j'ai pas mal galéré). Je m'y mets.
Je roule 2 heures chaque matin, 6 heures par jour le week-end. Quand je sens venir le coup de pompe, je dévide mon Top 10: Garrigou, Anglade, Fausto Coppi, Darrigade. Pas question de bâcher, mon gars. Petit-Breton, Louison Bobet, Indurain. Changement de braquet. Anquetil, Hinault, Eddy Merckx.
J'y vais à bloc, la tête dans le guidon… de mon vélo d'appartement.
Photo: YLD, Cornelius Bellman