Inopportune. Malencontreuse. Son amour si intense, si fervent devait me délivrer. Lola consentait à tout. J'intimais, j'exigeais, je décrétais, elle subissait, se résignait. Las de ses offrandes, je la dédaignais pour une maîtresse moins docile, pour un amant fortuit. Impudique, indécent, je ne lui épargnais rien de mes divertissements. Ecrire n'est pas un geste amoureux. Une confrontation charnelle, une mêlée sauvage. Mon œuvre se nourrirait des meurtrissures de Lola, s'abreuverait à sa magnanime détresse. Sûre de mon talent, confiante en sa munificente passion, elle laissait ma cruauté la dépecer. Je me rivais à mon ordinateur. Cigarette, café, cigarette, cigarette, café, whisky. Plus les mots se refusaient, plus les phrases me résistaient, plus je harcelais Lola, l'accablais de mes excessives prétentions. Cigarettes, whiskys. Mon roman serait d'une audace inouïe; un acte sublime, absolu, foudroyant. Une exécution capitale. Un éblouissement. Je massacrais le lexique, fracassais la syntaxe, étripais la stylistique. J'anaphorisais, j'hyperbolais, j'épurais, j'argotais, je barbarisais. je souillais, je pervertissais. Toujours inassouvie, ma soif de radicalité me poussait à la férocité. Impuissant à transfigurer le verbe, je profanais les promesses imbéciles de Lola, reniais son insane fidélité et son inutile dévotion, répudiais sa stérile présence. Je la vouais à l'insignifiance.
Sur l'écran de mon ordinateur, Lola a écrit en lettres sang de son rouge à lèvres «un infirme du cœur», «un déficient sentimental», avant d'en finir au Temesta-whisky.
Sur l'écran de mon ordinateur, Lola a écrit en lettres sang de son rouge à lèvres «un infirme du cœur», «un déficient sentimental», avant d'en finir au Temesta-whisky.
Un voile de tristesse, une ombre de remords, au moins une légère émotion, j'aurais dû… Suis juste foutu de me vautrer dans les draps crasseux de l'abjection.
Photo: YLD