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dimanche 19 juin 2016

Traître mot

Les mots, nous sommes de connivence, avais-je affirmé, présomptueuse (Sens dessus dessous). Cadavre exquis, chamboule-tout étymologique, tohu-bohu sémantique, me soufflaient-ils à l'oreille. Je m'y prêtais de bonne grâce. Après tout, qu'est-ce que je risquais, ce n'était qu'un jeu. Un jeu? ricanèrent-ils. Je leur souriais d'un air entendu, les laissais prendre leur aise. Ils m'entraînèrent dans leur badinage syntaxique, leur libertinage lexical. Je me livrais à leur dévergondage hyperbolique, à leur débauche synecdotique avec délectation. Insidieusement, ils squattaient l'aire de Broca. Ils s'incrustaient, réaménageaient le cortex à leur convenance, renversaient le vocabulaire, culbutaient la grammaire. J'étais leur prisonnière volontaire, leur otage consentante.
Et puis, plus qu'une voix discordante.
— De toute façon, tu n'as rien à dire.
— Peut-être, mais je tiens à ma liberté d'expression.
— Récrimination ou pure rhétorique?
— Je ne… oh,non! Mais vous…
— Aposiopèse.
Ils s'étaient bien joués de moi.
Félons, judas, traîtres!
Fade épitrochasme, raillèrent-ils.
Et voilà comment d'hypotypose en synchise et d'hendiadys en brachylogie, je suis devenue une aberration langagière, une extravagance linguistique.
Photo: YLD, Zoo Project, Montreuil

samedi 4 janvier 2014

Insoluble

Sur un coup de tête. Ou parce qu'elle n'en pouvait plus, espérait autre chose, elle s'était enfuie à Londres. A peine arrivée à l'hôtel, elle lui avait écrit Ne me laisse pas te quitter. Je t'aime. Je ne veux pas vivre sans toi. Elle avait attendu un appel, un SMS. Une semaine, un mois. Elle était rentrée à Paris. Un mot, un signe, elle serait revenue à lui, repentante, rassurée, heureuse. Il se taisait, l'exténuait de son silence.
Elle était partie depuis deux mois lorsqu'il reçut son message. Une grève de la poste l'avait laissé en souffrance tout ce temps. Pendant des jours et des nuits, à chaque instant, il avait cherché une explication, s'était perdu dans les hypothèses, égaré dans les conjectures. Il s'était tout reproché, l'avait accusée du pire. Il l'avait insultée, avait rêvé son retour, l'avait détestée, avait prié, lui qui ne croyait à rien ni à personne, l'avait maudite. Quand la carte lui était parvenue, il avait déjà renoncé. S'il l'avait reçue avant, les choses auraient-elles été différentes? Il trancha dans le vif. Trop tard, martela-t-il férocement. C'est trop tard.

Obéissant à une obscure impulsion, une sournoise désillusion, elle s'était éclipsée, voulait juste s'absenter un peu du quotidien. Dans le train, elle l'avait appelé Ne me laisse pas te quitter. Je t'aime. Je ne veux pas vivre sans toi. Je m'en fous, lui avait-il répondu d'une voix tremblante de colère. La rage au cœur, il avait raccroché. Elle l'avait abandonné. Elle n'était plus rien pour lui, décréta-t-il, impitoyable, effacée de sa vie, expurgée de ses pensées. Elle rappela, se fracassa sur les brisants de sa rancœur. Elle se désolait de sa précipitation. Si elle avait patienté un peu, un jour ou deux, les choses auraient-elles été différentes? Elle s'accrocha à cet espoir. C'était peut-être trop tôt.
Photo: YLD

samedi 16 novembre 2013

Mot à maux

Avoir imaginé qu'il l'admettrait, après tant d'années. Pourtant, il a dit J'en conviens, Probablement, Oui bien sûr. Il n'empêche, comment croire qu'il reconnaissait ce qu'il avait toujours nié? Barcelone, ce soir d'août. Nous étions restés longtemps à la plage. Nous étions rentrés, fatigués de soleil. Nous avions passé la soirée sur la terrasse. La nuit était lourde, sans un souffle d'air. Et puis c'est arrivé. Survenu. Barcelone, ce soir d'été où tout semblait éternel, immuable. Soudain, ce mot qui nous a anéantis. Il l'a prononcé, d'un ton neutre, comme par mégarde. Ce mot arrogant a fait irruption, rendant désormais notre vie inconcevable. Je l'entends encore. Et c'est moi qui l'aurais prononcé. Lâché. Pendant tout ce temps, je l'aurais rendu, lui, responsable de cette trahison, incapable que j'étais d'articuler aucun de ces autres mots qui auraient vaincu celui que ma peur de le perdre avait laissé échapper.
Alors, ce serait moi…


Je lui accorde un silence navré. Cette soirée, je l'ai oubliée. Cet amour forcené, intransigeant, m'est inconnu. J'étais amoureux. D'elle, sans doute. De Barcelone, passionnément. Belle Catalane, espiègle et bouillonnante. Ce mot assassin qui nous aurait poignardés en plein cœur, je l'ignore. J'en ai d'autres, qu'elle refuserait. Plaza del Sol, El Born, tapas con vino, Barceloneta, mariscada o cava, El Raval, fiesta y mojito. A moins que, peut-être, tibi dabo, promesses que je ne tiendrai pas.
Elle voulut que ce mot fatidique fût proféré une fois encore, maintenant, pour que nous sachions. Abolir la parole funeste, dit-elle. Elle attendait, espérait que je
Elle hurla: –––––––––––––
Je n'entendis qu'un cri.
Photo:YLD

jeudi 29 décembre 2011

Futur antérieur


–Bonsoir Vincent.
–Maman, il s'appelle Guillaume!
–Ah oui, Guillaume bien sûr. Je suis désolée.
Mon Dieu, c'est effrayant comme ce garçon ressemble à Vincent. Le même visage fin, un peu anguleux, les yeux mordorés, le sourire moqueur et jusqu'à la tessiture de sa voix, légèrement plus grave peut-être. La même attitude. Il se tenait devant moi, décontracté, sûr de lui, prêt à tout oser sachant qu'il retombera immanquablement sur ses pattes. Comment ai-je pu réagir aussi sottement? L'émotion de la première rencontre avec l'homme qui partage la vie de Mina, la vie de ma fille. Sans doute…
Vincent et moi avions le même âge. Il aurait probablement aujourd'hui le physique de mon mari: les tempes grisonnantes, des poignées d'amour et des rides au coin des yeux. Ce jeune homme, ce Guillaume, pourrait être son fils. Mais non, c'est absurde! Vincent a disparu deux ou trois ans après notre rupture, enlevé lors d'un périple en Amérique latine et vraisemblablement exécuté par ses ravisseurs. «Guillaume est un garçon intelligent, raisonnable, doux, attentionné», avait insisté Mina, nous sentant un peu inquiets son père et moi à l'idée qu'elle allait nous présenter son amoureux.

-Et si nous passions à table.
La soirée a été très agréable. Mon mari était rassuré, visiblement son futur gendre lui convenait. Guillaume, lui, s'est montré charmant, drôle, réfléchi, cultivé sans être pédant, prévenant. Mina était aux anges. Pourquoi suis-je de plus en plus mal à l'aise? J'ai beau me remémorer chaque instant de notre dîner, rien ne justifie l'angoisse qui m'étreint. Rien, si ce n'est Guillaume, son visage m'obsède, me réveille la nuit, me hante. Que m'arrive-t-il? Je ne suis pas une mère possessive. J'ai toujours laissé Mina choisir ses amis, décider de ce qu'elle voulait faire, de la vie qu'elle souhaitait mener. Guillaume, le sympathique et séduisant Guillaume, me terrifie.
–Allô, c'est Vincent.
–Vincent?
–Enfin Guillaume.
–Je ne voulais pas vous froisser l'autre soir, je…
–Allons, tu as tout de suite su que c'était moi, n'est-ce-pas? Depuis, tu essaies de comprendre. Ton supplice ne fait que commencer, ma chère. J'étais trop volage, trop superficiel pour toi. «Restons-en là Vincent, préservons notre amitié», un dénouement grotesque, qui me ridiculisait. Quand j'ai appris par ma sœur –elle n'a jamais rien pu me refuser, pas même de trahir sa meilleure amie– que tu venais d'avoir une fille, j'ai mis en scène ce kidnapping par des guérilleros colombiens. Avoue que c'était plutôt bien manigancé. Et puis je… –ma chère, tu n'imagines pas ce qu'il est possible d'obtenir si on y met le prix– je me suis fait cryogéniser. Des micropuces implantées dans le cerveau, les poumons et le cœur m'alimentaient en oxygène afin d'éviter la dégénérescence des cellules. Je sommeillais à moins 196°C. Ta fille grandissait, s'épanouissait, guettant les premiers émois de son cœur. Je suis resté en stand by pendant dix-huit ans. Quelques mois de remise en forme après mon réveil, et voici Guillaume, brillant thésard, tout disposé à encadrer les étudiants en licence de droit, ravi d'aider Mina. Des TD à préparer, une fête chez une copine, un concert… Je l'ai enchaînée à moi, captive consentante, candide et espiègle. Pour toi, les années ont passé, le temps ne t'a pas épargnée. Tu es devenue une femme mûre, ravissante encore, mais vieillissante. Tu es devenue la mère de la jolie Mina, dont je suis le jeune amant…
Photo: YLD

dimanche 14 novembre 2010

Abracadaboum


Un flot continu de voitures, de camionnettes de livraison, de scooters s'écoule dans l'avenue, déchiré à intervalles réguliers par le vrombissement impatient d'une moto, le klaxon furibond d'un taxi ou la sirène autoritaire d'une voiture de police. Sur le trottoir évolue un ballet incessant d'hommes d'affaires suspendus à leur téléphone, d'employés pressés et de touristes grands reporters, l'appareil photo en bandoulière. Laissant flotter mes pensées, le regard attaché à une silhouette, une démarche, je savoure ma pause cigarette.
Une femme s'arrête près de moi, ramasse quelque chose et s'enquiert C'est à vous? Vous l'avez fait tomber? Je la remercie de son attention, mais, non, la bague qu'elle me tend ne m'appartient pas. On dirait de l'or, n'est-ce pas? insiste-elle en examinant l'anneau. L'or, c'est la chance. Je te la donne, poursuit-elle, passant sans raison apparente du vous au tu. Je suis tentée de refuser, je la trouve assez laide cette bague, trop grosse, trop tape-à-l'œil. Finalement, j'accepte l'offrande. Après tout, on ne boude pas sa chance. Mon interlocutrice me jauge. Qu'attend-elle? Que d'un coup de baguette magique je fasse apparaître un monceau de louis d'or, que, par enchantement, je commuerais en autant d'aubaines et d'heureux auspices? Car ça ne fait aucun doute, ce n'est pas de l'argent qu'elle réclame, elle convoite la bonne fortune. Et elle a jeté son dévolu sur moi. J'esquisse un sourire forcé, cherchant la formule qui me délivrera du sortilège. Je t'ai accordé la chance; à toi, maintenant, s'obstine la perfide solliciteuse. Je fouille nerveusement dans la poche de ma veste, en quête de quelque gri-gri à échanger. Mes doigts rencontrent un Kleenex, un vieux ticket de cinéma, mon briquet, un jolie porcelaine ramassée le week-end dernier sur la plage d'Etretat. Abracadabra, j'ai le talisman! Je lui propose mon coquillage. Le charme n'opère pas. Tu triches avec la chance, m'incrimine la maudite quémandeuse. Je ne parviens pas à déchiffrer le message, ne sais pas décrypter le code, ne possède ni la clé ni la serrure. Si je ne veux pas être transformée en crapaud, je dois trouver un expédient. Je feins de jeter un coup d'œil affolé à ma montre et, presto subito, tourne les talons. Fondant sur moi, la maléfique me saisit le poignet, m'arrache la bague des mains et déguerpit sans mot dire, s'évaporant dans la foule.
«La chance, c'est une question de veine.» Pierre Dac
Installation Fontaine de la Mare. Photo YLD

mardi 11 novembre 2008

Quiproquo

Il était là et me regardait fixement, attentivement, avec intérêt même. Il n'y avait aucun doute, c'était bien moi qui attirais ses regards. Je le sentais. Je le savais. Il était assis dans le café et m'observait, obstinément. Ce que j'apercevais de lui me confirmait que ce n'était pas une vieille connaissance, depuis longtemps perdue de vue, qui se demandait si c'était bien moi avant de se décider à me faire un signe de la main. Non. Un parfait inconnu. Fallait-il l'ignorer ou aller vers lui, tenter la rencontre? La curiosité fut la plus forte. Je m'approchai, et là, je reconnus ce célèbre joueur de football dont l'image, grandeur nature, était collée sur la vitre du café et qui, imperturbable, ne me quittait pas des yeux.

Photo YLD