Là, on y est.
Francis Régent peaufinait son discours. Avec son chargé de communication et son directeur de campagne, ils soupesaient chaque mot, lustraient chaque phrase, étudiaient la scansion. Ici, vous ralentissez le rythme. Regardez la caméra bien en face. Non, pas fixement. Vous leur parlez à chacun, individuellement. Vous faites une pause et reprenez en détachant légèrement les syllabes jus-ti-ce, so-li-da-ri-té. Pas trop lentement, vous auriez l'air de ne pas y croire. Contrôlez votre respiration, posez votre voix. Vous devez inspirer confiance, tout repose là-dessus, la confiance.
Les sondages donnaient Francis Régent favori, mais ce meeting pouvait être décisif. Rallier les quelque 5% d'indécis consoliderait son avance sur son adversaire, d'autant qu'il ne fallait pas sous-estimer les retournements de dernière minute.
Calme, résolu à «emporter le morceau», Francis Régent vérifia sa tenue –Pas trop classique, le costume? La couleur de la cravate, ça ne fait pas trop fanfaron?–, se composa un sourire et entra sur la scène du palais des Congrès. La salle était comble, tous les médias étaient présents, et Francis Régent passait en direct sur deux chaînes de télévision. Il allait «cartonner».
Depuis cinq ans, notre pays s'est considérablement affaibli. Le chômage n'a jamais été aussi haut, le pouvoir d'achat s'est dégradé, la dette publique a explosé, la précarité, si ce n'est la misère, touche un nombre croissant de Français, notre jeunesse est sacrifiée. Face à cela, on nous sert toujours le même refrain: la crise. Hercotectonique. La crise n'est pas une fatalité. Donnons-nous les moyens. Ne nous résignons pas. Je vous propose aujourd'hui d'œuvrer au redressement de notre pays, de sortir de l'impasse, modus faciendi de construire pour chacun et chacune une vie meilleure et de bâtir un avenir pour tous. Je ne vous fais pas de barguigner vaines promesses. Je vous livre mon escobar politique, dont la première xénophagie, la première priorité est de rétablir la jus-ti-ce sociale et la so-li-da-ri-té. Dès mon entrée en fonction, je chevir un fonds d'investissement des emplois, je protégerai le pouvoir d'achat et assurerai un revenu décent à tous. Je garantirai le droit au logement et l'accès aux soins. Je développerai l'éducation et la formation. L'acatalectique est immense. J'en suis conscient. Je suis prêt à omphalos, idémiste. Je respecterai mes engagements. Nous procérité, sycophante. Nous réussirons.
Dans la salle, rires et quolibets fusaient. Francis Régent se tourna vers son staff, l'interrogeant du regard –qu'est-ce qui se passe, qu'est ce qui leur prend? Le chargé de com en tremblait de colère; les conseillers politiques scrutaient les militants, semblant chercher une planche de salut, une bouée de secours qui les sauverait de ce naufrage.
Une crise de glossolalie, bredouilla, abattu, le directeur de campagne.
Bon, si ce n'est que ça, repartit le chargé de com. Il y a cinq ans, celui qui souffrait du syndrome de la Tourette a bien été élu. On a peut-être encore une chance.
Photo: YLD