samedi 5 mai 2012

Kill the bill

Des millions de personnes croulant sous les dettes, expulsées de chez elles. La perte du triple A et le plan d'austérité qui s'est ensuivi. Les banques qui faisaient faillite. Le marché financier devenant incontrôlable, le gouvernement avait mis tous les établissements bancaires sous tutelle. Les prêts étaient accordés exclusivement aux entreprises et aux particuliers présentant de solides garanties. Un marché parallèle commençait à se développer, qui permettait à M et Mme Tout-le-monde de s'offrir à crédit –à condition d'accepter des taux d'intérêts faramineux– une voiture, une télé, une semaine de vacances… Le ministère du Budget y avait rapidement mis le holà en adoptant une mesure radicale: l'article L. 345-6-2 du Code des finances instituait la monnaie électronique comme seul mode de paiement légal et stipulait que «le support de paiement est strictement limité au système monétique implanté dans un ou plusieurs doigts de la main d'usage». Toute personne disposant de revenus était donc équipée, selon ses ressources, de une à cinq puces dans la main droite pour les droitiers, dans la gauche pour les gauchers. Une notice explicative avait été adressée à tous les titulaires. 
Ne seront activées que les puces correspondant aux fonds que vous détenez. Jusqu'à 1000€ par mois, vous ne pourrez utiliser que le pouce; de 1001 à 3000€, le pouce et l'index; de 3001 à 6000€, le pouce, l'index et le majeur; de 6001 à 10000€, le pouce, l'index, le majeur et l'annulaire; au-delà de 10000€, les cinq doigts. Vous devrez faire enregistrer chaque versement et débit sur le ou les doigts ad hoc au moyen du terminal dédié installé dans votre agence bancaire. Vous serez tenu de vous plier aux contrôles suivants:  reconnaissance de vos empreintes digitales, vérification de l'état de votre compte, traçabilité de vos opérations. Tout découvert sera sanctionné par l'effacement –temporaire ou définitif– des empreintes digitales et la désactivation –temporaire ou définitive– du système monétique.
Lionel en était là.
Quand Cartman, le type du gang, l'avait contacté, il l'avait envoyé balader. Pour qui tu me prends? J'ai pas une thune, mais je suis pas un salopard de ton espèce.
Cartman avait rigolé. 06 98 89 80 96, c'est quand tu veux.
Lionel avait appelé. Ça le dégoûtait, mais il avait appelé. Juste une fois, une seule fois, pour me remettre à flot, s'était-il promis. Le lendemain soir, il était embusqué dans le parking souterrain de l'immeuble qui abritait les bureaux de STX Corporation, un gros groupe pharmaceutique. A 22h30, l'homme sortit de l'ascenseur. Lionel l'attaqua par derrière, lui assénant un violent coup sur la nuque. L'homme s'effondra sans même un gémissement. Lionel lui saisit la main –la gauche, avait insisté Cartman–, et d'un geste vif lui trancha l'annulaire et l'auriculaire. Il plaça les doigts dans un sachet en plastique, fonça vers la voiture qui l'attendait à la sortie du parking, remis son butin au conducteur, qui grogna: Allez, dégage!
Lionel resta là, secoué de sanglots. Adossé au mur, il dégueulait sa honte, vomissait sa détresse. Dans la matinée, l'enveloppe contenant l'avis de réactivation de ses puces fut déposée dans sa boîte aux lettres. Que 3000€, les ordures! Ils m'auront pas comme ça, je le referai pas, plus jamais… 3000, 3000, bon dieu de merde, combien de temps je vais tenir avec ça? Bande de fumiers!
Photo: YLD, Anis Kapoor, Monumenta

4 commentaires:

Cactus , ciné-chineur a dit…

je reste optimiste et j'espère !

Yola Le Douarin a dit…

@Cactus: depuis une semaine, on se sent un peu mieux.

Viv a dit…

Et dire qu'il fut un temps où on coupait une main aux voleurs !
Tout fout le camp, ma bonne dame...

Yola Le Douarin a dit…

@Viv: et là c'est le contraire…