De la gare aux rives du fleuve, ce n'est qu'une marée humaine. Une foule bigarrée, costumée de bric et de broc. Perruques rouges, vertes, violettes. Quelques masques, mais surtout des visages peints. Faces blafardes au sourire sardonique ou charbonnées aux yeux exorbités. Gueules fracassées, cabossées, distordues. Depuis trois jours, le carnaval met la ville cul par-dessus tête. Les rues suintent la bière, la joie égrillarde, le plaisir prosaïque, l'urgence impérative du chaos libérateur. Le martèlement anarchique des tambours, les vibrations frénétiques des cuivres soulèvent une houle grondante, qui déferle en flots tumultueux sur la grand-place, où trône, suffisante et grotesque, Sa Majesté, que nargue le roi des fous.
«Jamais, tu m'entends, jamais!» Ç'avait été leur seule dispute. Timothée ne comprenait pas, ne supportait pas que Nicolas participe à ce truc de beaufs. Le carnaval était l'unique moment où les jumeaux s'ignoraient ostensiblement. Nicolas militait dans Le Chambardement, un mouvement engagé dans la régénérescence du carnaval, qui devait, selon ses membres –Nicolas et sa dizaine de copains–, retrouver son caractère subversif des origines. Timothée reprochait à son frère son aveuglement, sa naïveté. «Tu fais pitié avec ta subversion à la barbe à papa et à la Kro.»
Une semaine que Nicolas était dans le coma. Un accident de moto. Personne n'avait osé solliciter Timothée. C'est lui qui l'avait proposé. «Votre roi des fous à la con, ce sera moi.» Un deal passé avec Nicolas. «Je le fais, mais tu te sors de ce putain de coma, hein.» Ou bien un défi à la vie, un doigt d'honneur à la mort.
Carnaval se consume. Les flammèches expirent dans la nuit. Au pied du bûcher, Timothée pirouette, se contorsionne, bouffonne, grimace. Sur son bonnet à grelots, son casque, le volume à fond. Timothée surfe sur la déferlante du solo de batterie. Caisse claire tom médium tom basse grosse caisse syncope contretemps groove puissant féroce extrême.
Et ce fut tout.
«Jamais, tu m'entends, jamais!» Ç'avait été leur seule dispute. Timothée ne comprenait pas, ne supportait pas que Nicolas participe à ce truc de beaufs. Le carnaval était l'unique moment où les jumeaux s'ignoraient ostensiblement. Nicolas militait dans Le Chambardement, un mouvement engagé dans la régénérescence du carnaval, qui devait, selon ses membres –Nicolas et sa dizaine de copains–, retrouver son caractère subversif des origines. Timothée reprochait à son frère son aveuglement, sa naïveté. «Tu fais pitié avec ta subversion à la barbe à papa et à la Kro.»
Une semaine que Nicolas était dans le coma. Un accident de moto. Personne n'avait osé solliciter Timothée. C'est lui qui l'avait proposé. «Votre roi des fous à la con, ce sera moi.» Un deal passé avec Nicolas. «Je le fais, mais tu te sors de ce putain de coma, hein.» Ou bien un défi à la vie, un doigt d'honneur à la mort.
Carnaval se consume. Les flammèches expirent dans la nuit. Au pied du bûcher, Timothée pirouette, se contorsionne, bouffonne, grimace. Sur son bonnet à grelots, son casque, le volume à fond. Timothée surfe sur la déferlante du solo de batterie. Caisse claire tom médium tom basse grosse caisse syncope contretemps groove puissant féroce extrême.
Et ce fut tout.
Photo: YLD, Royal de Luxe