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mardi 2 janvier 2018

Dérobade



Elle est jolie Audrey. Des yeux noisette si lumineux quand elle rit, virant au bronze dès qu'elle est chagrinée ou fâchée. Romanesque, sans fausse pudeur. Ce soir, vous prenez plaisir à la regarder, probablement parce qu'elle s'éloigne de vous, ayant renoncé à vivre avec une ombre. Pas tout à fait. Vos sentez qu'elle n'a pas encore abdiqué. Elle fait mine de vous délaisser pour mieux vous adjurer de la retenir. En vain. Absent, fantomatique, en pointillés, vous a-t-elle reproché. Juste en disponibilité, avez-vous rétorqué. La vie vous effleure. Vous accueillez ce qui advient et ignorez le reste. Vous dédaignez ce qui ne s’offre pas à vous. Vous vous arrogez le droit à l'indifférence, vous octroyez la jouissance de l'indolence, le bonheur de la paresse sentimentale, de l'inertie affective. Ne rien faire, ne rien vouloir. Recevoir, savourer. Et oublier.
Oui, elle est jolie Audrey, pétulante et malicieuse. Vous n'en êtes plus ému. Vous le constatez, négligemment.Vous l'aviez fantasmée Hepburn. Vous vous êtes attardé, vous hasardant quelque temps dans son quotidien. Il n’y avait tout simplement, trop banalement, qu’Audrey. Rompre, vous pourriez en prendre l’initiative si vous ne craigniez de vous ennuyer ferme. Expliquer, argumenter, justifier, ça complique les choses inutilement. C’est fini, voilà tout. Vous attendez, impassible, qu’Audrey ait usé ses dernières illusions. Elle abandonnera, de guerre lasse. L’expression vous plaît assez…
Et vous songez déjà à Scarlett.
Photo: YLD




samedi 13 juillet 2013

Chassé-croisé

Il en avait les moyens. Ses revenus lui permettaient de dédommager amplement sa femme. Il trompait généreusement Victoria, mais apaisait avec prodigalité ses blessures d'amour-propre: robes Valentino ou Prada, diamants, séjours dans un hôtel de luxe californien… La quarantaine l'assagit. Il n'éprouva plus le besoin de collectionner les maîtresses. Depuis six mois, Jeanne, de vingt ans sa cadette, était son unique escapade. Curieusement, Victoria, qui, jusqu'alors, semblait se satisfaire des compensations qu'il lui octroyait, redoubla d'exigences. Elle avait désiré un appartement à San Francisco, avait voulu un chalet à Megève. Elle venait d'obtenir une villa à Monaco. Jeanne, si désintéressée, si insouciante, l'accabla soudain de caprices fastueux. L'une marchandait ouvertement la paix matrimoniale; l'autre monnayait subrepticement ses sensuelles ingéniosités. Il ne s'en offusquait pas. Lui qui, dans le monde de la finance, avait bâti sa réputation sur son acharnement impitoyable soutenait que, pour jouer gagnant, il fallait chiffrer exactement la mise optimale, mesurer précisément les risques et évaluer finement le retour sur investissement. Il accédait donc, indifférent, aux revendications conjugales de Victoria et consentait, attendri, aux vœux fantasques de Jeanne.
Victoria était en vacances aux Caraïbes lorsqu'il reçut la lettre de son avocat l'informant qu'elle demandait le divorce. Cette sotte avait sans doute cru le doubler; elle lui donnait l'avantage du terrain. Il fit un peu traîner les choses, négocia, pour la forme, le montant de la prestation compensatoire. Un trade gagnant, finalement, se félicitait-il: il avait échangé une Victoria en net recul contre une Jeanne qui cotait en forte hausse.
Pourtant, ces derniers temps, quelque chose le tracassait. Evidemment, les indices boursiers n'étaient pas au beau fixe, mais compte tenu de la crise, ils n'étaient pas, non plus, particulièrement inquiétants. Les jours suivants, le CAC40, le Nikkei et le Dow Jones se maintinrent effectivement, mais Jeanne, elle, se volatilisa. Son téléphone restait muet, son appartement était occupé par un énergumène qui affirmait ne pas la connaître et ses copains de fac semblaient s'être passé le mot: il n'y avait vraiment pas de quoi stresser.

Du patio, Victoria observait Jeanne, étendue nue, dorée, abandonnée, offerte, au bord de la piscine. Elle s'avança silencieusement, laissa glisser son paréo et se coula, frémissante, contre l'impudique alanguie, voguant langoureusement jusqu'à la conque blonde de Vénus.
Photo YLD: Three People on Four Benches, George Segal



samedi 9 juillet 2011

A quelque chose malheur est bon


A cinq ans, il avait eu le coup de foudre pour Sandra. Il lui dessinait des bouquets de fleurs. Elle, intrépide, jouait aux billes avec Bruno.
A dix ans, il avait toujours le béguin. Pendant qu'elle grimpait dans les arbres du jardin avec Laurent, il lui confectionnait des bateaux avec des allumettes, qu'elle accueillait d'un négligent «joli».
A quinze ans, fervent adorateur, il résolvait pour elle les équations du troisième degré que leur infligeait le prof de maths, tandis que, de rock en slow, elle passait des bras de Fabien à ceux de Damien.
L'été de ses dix-neuf ans, enragé de désir, il photographiait frénétiquement Sandra, qui se dorait au soleil avec Pablo, surfait avec Pablo, prenait des bains de minuit avec Pablo.
A trente ans, Sandra et lui étaient mariés, sans qu'il ait bien compris ce qui avait décidé Sandra à le choisir lui. Sandra avait un peu coupé ses cheveux, avait conservé sa silhouette élancée de sportive et son impérieuse frivolité. Elle l'avait convié dans son existence et lui offrait une hospitalité courtoise et attentive. Il l'avait épousée, et son amour s'était dissous dans les prévenances conjugales, dilué dans les égards matrimoniaux. Ils s'étaient composé une vie à l'amiable. Qu'il n'aime plus Sandra, il pouvait l'accepter, mais ne plus être amoureux… Il avait un besoin vital de se corroder dans l'attente angoissante d'un rendez-vous, de sentir la morsure de la jalousie, le cœur meurtri, plus que jamais avide d'espérances.
Il retrouva Sabine sur Copains d'avant. Une fille sympa, mignonne sans plus, plutôt drôle, une bonne copine, quoi. Il lui envoya quelques mails –je me souviens de…, je n'ai pas oublié le jour où…–, auxquels elle répondit gentiment. Il ne lui en fallait pas plus, il insista pour qu'ils se rencontrent. Elle refusa: elle était ravie de renouer avec un ancien camarade, mais il y avait déjà un homme dans sa vie, et elle ne voulait pas le perdre. Elle entendait s'en tenir à des échanges électroniques, amicaux uniquement, et à intervalles raisonnables. Il se plia au diktat de Sabine. Il était à nouveau amoureux. Amoureux et malheureux. Éperdument malheureux.
Photo: YLD


samedi 13 décembre 2008

Subway


Je la prends chaque jour, la 11. Mairie-des-Lilas-Châtelet. Le matin, voyageurs pressés qui partent au boulot. Le soir, les mêmes; juste un peu plus fatigués, impatients de rentrer. Comme sur la 5, la 7, la 9… Sur ma ligne comme sur la vôtre, «y a pas de soleil sous la terre, drôle de croisière».
Mairie-des-Lilas, un petit truc oublié sur la banquette. Une curieuse grenouille orange et rose. Je la pose sur le siège libre à côté de moi.
– C’est à vous? me demande, en me tendant l’origami, un homme qui s’apprête à s’asseoir.
– Oui, non. Euh si, si c’est à moi.
Impatient, l'usager hausse les épaules.
Télégraphe, brouillage radio.
Je dépose le pliage sur mes genoux, le reprend, le fait passer d’une main dans l’autre. Il commence à se dépiauter. En son centre apparaît une tache noire. Un dessin? Je déchiffre: RV ICI.
Goncourt, initiales d'une romance ou rendez-vous manqué…
«Je […] vois briller […] les correspondances/Parfois je rêve.»
République, destins à la croisée des chemins.
«Parfois je rêve, je divague.»
Hôtel-de-Ville, baiser immortalisé d'un bonheur fugace.
Amour perdu, porté disparu?
Châtelet, terminus.
Pochoir: Stencil Project