L'unité de lieu. C'est primordial. La chambre sera désormais strictement réservée à l'écriture (un Clic-Clac dans le salon fera l'affaire pour dormir). Un environnement, non, un univers structuré, d'une neutralité bienveillante, décrète Valentine. La pièce est repeinte en jaune paille, le bureau disposé devant la fenêtre, habillée d'un voilage en lin beige, une photo grand format des dunes sahariennes épinglée sur le mur de gauche; la petite bibliothèque, installée contre celui de droite, rangée rationnellement. En bas, les BD. Sur l'étagère du milieu, les amis, avec qui Valentine s'entretient tous les jours –Un beau ténébreux, Madame Bovary, Du côté de chez Swann, les Sonnets de Louise Labé, Les Vagues– et les indispensables Robert, Grevisse, Gradus, thésaurus, dictionnaire des synonymes, Bescherelle. En haut, les connaissances, qu'elle visite de temps à autre.
Bien calée dans son siège ergonomique tout neuf, Valentine allume son Mac, crée un document, clique sur Enregistrer sous et y inscritroman MON ROMAN. Un univers structuré amène une pensée structurée, martèle Valentine.
-Un récit ample.
-Les amours-amitiés-trahisons-disparitions-retrouvailles-vengeance d'un groupe d'amis.
-Leur rencontre, alors qu'ils sont adolescents, durant des vacances d'été à Belle-Île.
-Commencer par planter le décor, décrire leur environnement (le paysage).
Et bien commençons, s'encourage Valentine.
Le lendemain, la relecture du premier paragraphe (dix lignes qui l'ont tenue éveillée jusqu'à deux heures du matin) est cruelle : convenu, banal, plat, nul, tranche Valentine.La structure ne suffit pas. La pièce est trop vaste, je m'éparpille (un paravent placé derrière le bureau réduit l'espace), le va-et-vient de la rue me distrait (le voilage est remplacé par un épais double rideau). Plus de falaises, d'embruns, de lande fleurie… On est dans la villa; c'est là que tout va se nouer.
Une semaine plus tard, une cinquantaine de lignes ont douloureusement vu le jour. Même pas un incipit prometteur, deux versions niaises, enrage Valentine. La description de la jolie maison traditionnelle à Locmaria, parfaite pour la brochure du syndicat d'initiative. Celle de la résidence design sur le port de Saint-Palais, une super annonce sur Airbnb. Je me disperse, perds mon temps à vérifier sur internet les caractéristiques de l'architecture belliloise, à rechercher l'ameublement idéal de la villa. Je veux écrire, écrire un roman! Il faut revenir au fondamentaux: un crayon et quelques feuilles de papier; resserrer l'intrigue autour d'un seul protagoniste, à la personnalité forte, complexe; me recentrer sur l'essentiel, ses émotions, son ressenti. A l'imparfait? Au présent? Première ou troisième personne du singulier? Un récit linéaire? Des ruptures temporelles?
Ne pas être obsédé par la grammaire, préconise Stephen King. Dire les choses le plus simplement possible, conclut Michel Volkovitch.
Une écriture nue, en déduit Valentine.
Valentine fixe longuement la page vierge. Elle n'a rien à ajouter.
Photo: YLD, installation d'Antonin Heck Bien calée dans son siège ergonomique tout neuf, Valentine allume son Mac, crée un document, clique sur Enregistrer sous et y inscrit
-Un récit ample.
-Les amours-amitiés-trahisons-disparitions-retrouvailles-vengeance d'un groupe d'amis.
-Leur rencontre, alors qu'ils sont adolescents, durant des vacances d'été à Belle-Île.
-Commencer par planter le décor, décrire leur environnement (le paysage).
Et bien commençons, s'encourage Valentine.
Le lendemain, la relecture du premier paragraphe (dix lignes qui l'ont tenue éveillée jusqu'à deux heures du matin) est cruelle : convenu, banal, plat, nul, tranche Valentine.La structure ne suffit pas. La pièce est trop vaste, je m'éparpille (un paravent placé derrière le bureau réduit l'espace), le va-et-vient de la rue me distrait (le voilage est remplacé par un épais double rideau). Plus de falaises, d'embruns, de lande fleurie… On est dans la villa; c'est là que tout va se nouer.
Une semaine plus tard, une cinquantaine de lignes ont douloureusement vu le jour. Même pas un incipit prometteur, deux versions niaises, enrage Valentine. La description de la jolie maison traditionnelle à Locmaria, parfaite pour la brochure du syndicat d'initiative. Celle de la résidence design sur le port de Saint-Palais, une super annonce sur Airbnb. Je me disperse, perds mon temps à vérifier sur internet les caractéristiques de l'architecture belliloise, à rechercher l'ameublement idéal de la villa. Je veux écrire, écrire un roman! Il faut revenir au fondamentaux: un crayon et quelques feuilles de papier; resserrer l'intrigue autour d'un seul protagoniste, à la personnalité forte, complexe; me recentrer sur l'essentiel, ses émotions, son ressenti. A l'imparfait? Au présent? Première ou troisième personne du singulier? Un récit linéaire? Des ruptures temporelles?
Ne pas être obsédé par la grammaire, préconise Stephen King. Dire les choses le plus simplement possible, conclut Michel Volkovitch.
Une écriture nue, en déduit Valentine.
Valentine fixe longuement la page vierge. Elle n'a rien à ajouter.