Non, je n'en ai pas.
Ah! Mais pourquoi?, s'enquit Louise.
Je n'en ai pas, c'est tout.
Lydie n'avait plus de miroir chez elle, parce qu'il n'y avait plus personne pour s'y regarder. La silhouette qu'elle croisait furtivement dans la glace des toilettes du bureau ou dans celle de la cabine d'essayage des magasins n'était qu'un substitut, qui se chargeait des relations sociales. Depuis que c'était arrivé, elle était un travestissement d'elle-même. Ce soir-là, il s'était emparé d'elle, corps anonyme avec lequel il avait trompé son impuissance à être. Il ne la désirait pas, ne cherchait pas une aventure; juste un moyen. Il l'avait laissée là comme on abandonne une vieille fripe souillée. Peu à peu, le corps de Lydie oubliait, mais elle ne cessait de se cogner à la psyché du salon, où s'étaient figés les yeux avides de l'homme, sa bouche crispée pendant qu'elle se débattait, sa face grimaçante, abêtie, de besogneux, le rictus hideux du soulagement. Chaque matin, le miroir de la salle de bains lui jetait à la figure les narines dilatées, les joues flasques, l'acharnement vorace de l'homme. Elle eut peur de rester à jamais sa prisonnière, emmurée dans sa chambre noire. Elle fit voler en éclats l'image immonde. Lentement, prudemment, Lydie recomposait son visage, se le réappropriait, sortait de l'indifférencié où l'homme l'avait entraînée. Un jour –bientôt, se promettait-elle–, elle se reconnaîtrait.
Photo: YLD, Lilith, Kiki Smith