samedi 21 avril 2012

A corps perdu


Je suis un geek, en quelque sorte. Non pas un de ces hardcore gamers rivés à leurs jeux vidéo, un geek de laboratoire. Je suis accro à mes éprouvettes, ma colonne de distillation, mon spectrophotomètre. Rien d'étonnant pour un chimiste? Possible, sauf que je ne suis pas affligé d'une conscience professionnelle hypertrophiée, que je ne nourris pas une passion obsessive pour mon boulot. Ce qui me captive au point d'y consacrer mes nuits, mes week-ends, mes vacances, d'en avoir oublié mes amis et d'avoir laissé partir ma copine sans le moindre regret, c'est un truc phénoménal, une invention fabuleuse. L'opus magnum de la virtualisation sensorielle. J'y travaille depuis quatre ou cinq ans, et ça y est.
Au début, c'était un vrai cauchemar. J'avais bien sûr épluché toute la littérature médicale sur les effets du LSD, de la mescaline et autres hallucinogènes, mais moi je voulais créer une substance qui décuple mes facultés sensorielles sans altérer mes capacités intellectuelles: quand je regarderai un film, j'éprouverai réellement, physiquement, les sensations que les images déclencheront en moi tout en restant parfaitement lucide. Qu'un mec encaisse un coup, et je m'écroulerai, meurtri; qu'une bimbo l'accable de caresses et j'en vibrerai de plaisir. J'avais bien une petite idée de la mixture qu'il me fallait, mais je devais trouver la bonne composition, la formule exacte, la quantité précise. J'ai longtemps tâtonné. Je m'inoculais une dose et je passais un snuff movie, où ça cognait, violait, torturait, massacrait. J'étais trop ambitieux ou trop impatient. Sous l'excès de violence et de produit, je vomissais, me pissais dessus d'angoisse, me tordais de douleur, le corps secoué de convulsions, la bave aux lèvres, les yeux exorbités, à demi-conscient. J'en devenais cinglé. Si je réduisais le dosage, je n'éprouvais qu'un malaise nauséeux, sordide. J'étais sur le point de tout abandonner, quand… La musique. C'était ça qui manquait. Un copieuse ration de coups, de sexe, et la musique qui m'embarquait dans l'exclusivité sensorielle. J'y étais.
A chaque séance, j'augmente un peu l'intensité. Je me maintiens des heures au paroxysme de la souffrance, au zénith de la jouissance. Avide, insatiable, condamné au supplice de la sensualité à vif, à rendre l'âme en 3D.
Photo: YLD, d'après une installation de Sylvette Gassan

2 commentaires:

Viv a dit…

Et toujours cette ambiance si particulière... En quête du "toujours plus" cette fois-ci.

Yola Le Douarin a dit…

@Viv: Et même au-delà :)