samedi 7 mars 2009

In the sun



A 19h30 chez Harry's. Elle devait y retrouver Ed. En fin de matinée, une petite brume s'était levée, qui tempérait la chaleur de la mi-août et incitait à la somnolence, à la flânerie. L'après-midi s'écoulerait nonchalamment jusqu'à l'heure du rendez-vous. Elle mettrait sa robe grise, une tenue un peu stricte pour la saison, trop sage pour l'occasion. Une tonalité avec laquelle elle aimait jouer: gris perle, anthracite, argenté, qu'enflamme le vermillon d'une écharpe ou que réveille l'émeraude d'une broche. Ed lui dirait –il ne manquait jamais de le lui dire: «Il n'y a que toi qui porte le gris comme ça.» Elle aurait été déçue qu'une seule fois il s'en abstienne ou que, par un excès de zèle, il la complimente sur ses boucles d'oreilles ou son rouge à lèvres. Elle appréciait ce rituel, exigeait que son amant suive scrupuleusement sa carte de Tendre.
Chaque dimanche, Ed lui faisait livrer trois tulipes perroquets, subtil équilibre entre simplicité et sophistication, variation florale de la femme qu'elle était. Un jour, sans doute emporté par un de ces emballements que fait naître la passion, il lui avait fait parvenir trois lys blancs. Leur parfum suave et capiteux lui… soulevait le cœur. Elle en avait été bouleversée. Une indélicatesse qu'elle avait préféré ignorer, passer sous silence, obstinément. Ed ne s'y était pas trompé. Le dimanche suivant, elle recevait trois tulipes perroquets.
Ed l'aimait comme elle le voulait, sincèrement mais à sa façon à elle. Que savait-t-il vraiment d'elle? Il pensait la rendre heureuse en acceptant l'image qu'elle avait forgée. Etait-elle, ne serait ce qu'un peu, ne serait-ce que par instants, la femme qu'il chérissait? Elle se sentait soudain tendue, irritée. Elle se précipita sous la douche; la fraîcheur de l'eau l'apaisa. Elle revint dans la chambre, s'assit, nue, dans le fauteuil devant la fenêtre ouverte. La lumière miroitait sur sa peau. Elle déposait les armes, s'abandonnant enfin, indécise, irrésolue.
Il était trop tard pour Ed.
Eleven AM, Edward Hopper

1 commentaire:

@marisesargis a dit…

Le gris inspire et sied bien aussi à ce blog vraiment sympa, je me régale. Encore ! PS : mais ED...où avais tu la tête ? salutations du coq.