samedi 14 novembre 2009

Jugement dernier


Pardonnez-moi, mon père, parce que j'ai péché… Elle prononce la formule presque mécaniquement chaque samedi quand elle se confesse en vue de la messe dominicale. Elle avoue ses fautes –vénielles au demeurant, qu'elle n'a bien souvent commises qu'en imagination. En invente parfois pour le plaisir de se retrouver dans le noir du confessionnal. Véronique essuyant le visage du Christ, Madeleine séchant avec sa chevelure les pieds de Jésus. L'homme de Dieu lui remet ses péchés et lui signifie sa pénitence –un Notre père, un Je vous salue Marie–, qu'elle accomplit avec componction. Ce samedi-là, agenouillée devant l'autel, elle se met à dire ses prières coutumières, s'interrompt. Le regard rivé sur le tabernacle, elle articule: Je crois en un seul Dieu, le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible… La suite lui échappe. Elle fait une nouvelle tentative, exhumant les mots un à un. Elle reprend du début. Les phrases coulent avec plus de facilité, seules quelques hésitations en freinent ici ou là le flot. Elle persiste, recommence encore et encore. Elle récite maintenant d'une voix régulière. Ses genoux endoloris la clouent au prie-dieu. La douleur lui brûle le dos, lui enflamme la nuque, prend possession de son corps. Crucifié pour nous […], Il souffrit sa passion. Elle ne cédera pas. IL ne l'abandonnera pas. Elle psalmodie d'une voix blanche: Il reviendra dans la gloire/Lumière, né de la lumière/Il a pris chair […] s’est fait homme. Elle s'absorbe en un vibrant lamento, communie en une fervente mélopée, se consume en une ardente complainte, ravie en extase.
Une main se pose fermement sur son épaule.

-Cela suffit, ce n'est pas ce que le Seigneur te demande, tonne la voix de l'Eglise.
Ses yeux s'emplissent de ténèbres.
Alors Eve fut chassée du paradis.
Photo YLD

4 commentaires:

passantepensante. a dit…

Quand elle s'est incarnée elle a péché.
Cela me fait penser aux religieuses en extase épouses du christ...
en incarnation aussi...

Yola Le Douarin a dit…

C'est vrai, et Le Bernin a magnifiquement saisi l'abandon mystico-érotique de Ste Thérèse.

Philippe a dit…

Ce sont des souvenirs d'enfance, en Bretagne, l'église, curieusement le moment où je m'abandonnais à toutes sortes de rêveries amoureuses

Yola Le Douarin a dit…

Ah, toi aussi…