Pas un méchant homme, affirmait ma mère. Un être fantasque, au-delà du supportable. C'était sans doute ce qui l'avait séduite, reconnaissait-elle. Mais les lubies de mon père avaient fini par user sa patience. Le jour de mes 18 ans, elle quitta la maison, et je l'approuvai. Entre mon père et moi, le courant n'était jamais vraiment passé. Très jeune, je m'étais braqué contre ce gamin enfermé dans un corps d'adulte, ce Peter Pan de 1m90 qui se réfugiait derrière ses élucubrations. Après le divorce de mes parents, les rencontres avec mon géniteur s'étaient peu à peu espacées. Un déjeuner pour son anniversaire ou pour le mien, une visite à Noël, puis un coup de fil, qu'il accueillait avec une ironie mordante. Si bien que ces dernières années, je m'étais abstenu.
Oui, et alors? Ce n'est certainement pas une raison pour que je renonce à mon héritage. Mon père vivait très confortablement. Il doit rester un joli petit pécule. Un testament? Trop conventionnel pour ce farfelu. Il aurait pu se contenter de ne rien faire: ses biens auraient été évalués, et les choses auraient suivi le cours normal d'une succession. Trop simple pour ce maestro de l'excentricité, ce virtuose de l'extravagance. Il avait pris la peine de déposer une lettre chez le notaire; en fait, une alternative: accepte ou renonce. Ah, cette sale manie de jouer avec tout, de s'amuser d'un rien!
En rangeant l'appartement de feu mon paternel, j'ai enfin mis la main sur un document, un graphique accompagné d'algorithmes, perdu –caché?– parmi une cinquantaine de feuilles Canson couvertes de créatures hybrides, imbrications d'êtres humains, d'animaux et de végétaux. Du délire! Ce spécimen de la logique se tenait là, irrévérencieux, au beau milieu d'un sabbat de fantasmagories. Trop raisonnable pour être honnête! J'avais ce que je cherchais, j'en étais sûr; mais qu'est-ce que ça pouvait bien être? Des numéros de compte? Peu vraisemblable. A tout hasard, j'ai demandé à mon banquier de vérifier si ces signes cabalistiques pouvaient correspondre à des combinaisons de coffres-forts. Pas le moins du monde, a-t-il ricané. Un copain comptable m'a avoué ne rien y comprendre non plus. Après tout, il n'y avait peut-être rien à déchiffrer. Je m'étais fait piéger par cette injonction machiavélique: accepte ou renonce. Je laisse tomber, annonçai-je un midi à des collègues à qui je racontais ma mésaventure. Intrigué l'un d'eux, informaticien, me demanda de lui montrer à quoi ressemblait ce fameux casse-tête. Il avait de l'humour ton père! Il s'en étranglait de rire. On appelle ça un héritage virtuel, c'est utilisé en programmation C++. Pas si déjanté, le vieux! C'est ça qu'il avait voulu me transmettre: père, fils, on ne se choisit pas. On s'accepte ou on renonce…
Photo: YLD
Oui, et alors? Ce n'est certainement pas une raison pour que je renonce à mon héritage. Mon père vivait très confortablement. Il doit rester un joli petit pécule. Un testament? Trop conventionnel pour ce farfelu. Il aurait pu se contenter de ne rien faire: ses biens auraient été évalués, et les choses auraient suivi le cours normal d'une succession. Trop simple pour ce maestro de l'excentricité, ce virtuose de l'extravagance. Il avait pris la peine de déposer une lettre chez le notaire; en fait, une alternative: accepte ou renonce. Ah, cette sale manie de jouer avec tout, de s'amuser d'un rien!
En rangeant l'appartement de feu mon paternel, j'ai enfin mis la main sur un document, un graphique accompagné d'algorithmes, perdu –caché?– parmi une cinquantaine de feuilles Canson couvertes de créatures hybrides, imbrications d'êtres humains, d'animaux et de végétaux. Du délire! Ce spécimen de la logique se tenait là, irrévérencieux, au beau milieu d'un sabbat de fantasmagories. Trop raisonnable pour être honnête! J'avais ce que je cherchais, j'en étais sûr; mais qu'est-ce que ça pouvait bien être? Des numéros de compte? Peu vraisemblable. A tout hasard, j'ai demandé à mon banquier de vérifier si ces signes cabalistiques pouvaient correspondre à des combinaisons de coffres-forts. Pas le moins du monde, a-t-il ricané. Un copain comptable m'a avoué ne rien y comprendre non plus. Après tout, il n'y avait peut-être rien à déchiffrer. Je m'étais fait piéger par cette injonction machiavélique: accepte ou renonce. Je laisse tomber, annonçai-je un midi à des collègues à qui je racontais ma mésaventure. Intrigué l'un d'eux, informaticien, me demanda de lui montrer à quoi ressemblait ce fameux casse-tête. Il avait de l'humour ton père! Il s'en étranglait de rire. On appelle ça un héritage virtuel, c'est utilisé en programmation C++. Pas si déjanté, le vieux! C'est ça qu'il avait voulu me transmettre: père, fils, on ne se choisit pas. On s'accepte ou on renonce…
Photo: YLD
4 commentaires:
Père et fils, jeu de miroirs, entre amour et incompréhension, échanges parfois compliqués, fierté cachée, une énigme pour moi
@Philippe: et parfois une rencontre manquée…
C'est pas très gai, cette petite histoire. Cela me donnerait presque le bourdon. Pourquoi ? Peut-être parce que je décèle du sadisme chez ce père qui me fait froid dans le dos. Mais dans votre esprit c'était sans doute moins pessimiste comme vision des rapports père/enfant ?
@Marie: du sadisme, je ne sais pas. Je n'y avais pas pensé. Pessimiste, oui un peu, puisque c'est, en fait, une rencontre ratée entre père et fils, mais aussi pour le fils une façon de faire son deuil.
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