Toujours à remâcher des idées noires, tu es usant, me reproche Irène. Ça fait vingt ans, je suis à bout.
Dépressif, tu parles! Réaliste, c'est tout. Tu ouvres un journal, tu allumes la télé ou la radio et tu as quoi, hein? «Un attentat déjoué près de Notre-Dame», «Nouvel essai nucléaire en Corée du Nord», «25 personnes tuées dans l'incendie d'une usine au Bangladesh»… Alors, le divorce, voilà c'est comme le reste. Par consentement mutuel, ce sera rapide, a suggéré l'avocate. La bonne blague, le consentement mutuel. Irène me plaque, elle veut profiter de la vie, être heureuse. Le bonheur, une belle couillonnade. Et dire qu'à quarante-cinq ans, elle gobe encore ces foutaises.
Sur les marches du palais de justice, Irène se sent obligée de me prendre dans ses bras:
–Ne m'en veux pas Jean, mais tu sais il faut vraiment que tu apprennes à cultiver ton jardin.
–Mais oui, bien sûr. Le jardinage, ça remonte le moral, ça te fait voir la vie en vert. Et tant qu'il y a du vert, il y a de l'espoir.
Comme si je pouvais ne pas lui en vouloir. Cultiver mon jardin, si c'est tout ce qu'elle a trouvé après vingt ans ensemble. N'importe quoi! De toute façon, c'est mieux comme ça. Mouais. Et d'abord, on plante quoi en septembre? (Pas la peine de rigoler, j'ai bien compris l'allusion d'Irène: admettre la réalité du monde, l'améliorer autant que possible, sans renoncer à la joie de vivre. Mais moi, je n'y arrive pas, je n'y crois pas.)
Le choux, la mâche, le radis d'hiver, l'épinard, conseillent les sites de jardinage. Et bien, semons, piquons, arrosons. De toute manière, ça va rater.
J'en étais sûr. Echec complet. Ma première récolte: chiendent et pissenlits. Laisser tomber? Certainement pas! Je suis du genre pessimiste persévérant, défaitiste opiniâtre. Je deviens un client assidu de Truffaut, Delbard et Villemorin, doublé d'un fidèle lecteur de Rustica, Jardin facile, 100 Idées jardin. J'applique scrupuleusement les préconisations des vendeurs, je suis à la lettre les recommandations des spécialistes: semer les poids d'horloge à la mi-août, pailler les choux de Milan en cas de sécheresse, la courgette ne s'entend pas avec le concombre, la courge Muscade, très coureuse, exige un espacement de 2 mètres au minimum entre deux plants, le poireau apprécie la compagnie de l'asperge… Au printemps suivant, de jeunes pousses sortent de terre, et mon potager se pare bientôt d'un dégradé de vert, piqué çà et là d'une pointe de blanc, d'une touche de jaune, d'une note de violet. Je reconnais que je ne suis pas mécontent (en mon for intérieur, j'avoue même que je suis plutôt satisfait).
Je viens d'appeler Irène. Je me suis montré enjoué, lui ai parlé de mes plantations, de la saveur des plaisirs simples, et je l'ai invitée à dîner.
–Désolée, Jean, mais c'est un peu trop tard pour nous. J'ai rencontré quelqu'un.
Le jardinage et ce coup de fil à Irène, mais qu'est-ce qui m'a pris? Je le savais, il n'y a rien à attendre de la vie. Que du mouron et des orties.
Dépressif, tu parles! Réaliste, c'est tout. Tu ouvres un journal, tu allumes la télé ou la radio et tu as quoi, hein? «Un attentat déjoué près de Notre-Dame», «Nouvel essai nucléaire en Corée du Nord», «25 personnes tuées dans l'incendie d'une usine au Bangladesh»… Alors, le divorce, voilà c'est comme le reste. Par consentement mutuel, ce sera rapide, a suggéré l'avocate. La bonne blague, le consentement mutuel. Irène me plaque, elle veut profiter de la vie, être heureuse. Le bonheur, une belle couillonnade. Et dire qu'à quarante-cinq ans, elle gobe encore ces foutaises.
Sur les marches du palais de justice, Irène se sent obligée de me prendre dans ses bras:
–Ne m'en veux pas Jean, mais tu sais il faut vraiment que tu apprennes à cultiver ton jardin.
–Mais oui, bien sûr. Le jardinage, ça remonte le moral, ça te fait voir la vie en vert. Et tant qu'il y a du vert, il y a de l'espoir.
Comme si je pouvais ne pas lui en vouloir. Cultiver mon jardin, si c'est tout ce qu'elle a trouvé après vingt ans ensemble. N'importe quoi! De toute façon, c'est mieux comme ça. Mouais. Et d'abord, on plante quoi en septembre? (Pas la peine de rigoler, j'ai bien compris l'allusion d'Irène: admettre la réalité du monde, l'améliorer autant que possible, sans renoncer à la joie de vivre. Mais moi, je n'y arrive pas, je n'y crois pas.)
Le choux, la mâche, le radis d'hiver, l'épinard, conseillent les sites de jardinage. Et bien, semons, piquons, arrosons. De toute manière, ça va rater.
J'en étais sûr. Echec complet. Ma première récolte: chiendent et pissenlits. Laisser tomber? Certainement pas! Je suis du genre pessimiste persévérant, défaitiste opiniâtre. Je deviens un client assidu de Truffaut, Delbard et Villemorin, doublé d'un fidèle lecteur de Rustica, Jardin facile, 100 Idées jardin. J'applique scrupuleusement les préconisations des vendeurs, je suis à la lettre les recommandations des spécialistes: semer les poids d'horloge à la mi-août, pailler les choux de Milan en cas de sécheresse, la courgette ne s'entend pas avec le concombre, la courge Muscade, très coureuse, exige un espacement de 2 mètres au minimum entre deux plants, le poireau apprécie la compagnie de l'asperge… Au printemps suivant, de jeunes pousses sortent de terre, et mon potager se pare bientôt d'un dégradé de vert, piqué çà et là d'une pointe de blanc, d'une touche de jaune, d'une note de violet. Je reconnais que je ne suis pas mécontent (en mon for intérieur, j'avoue même que je suis plutôt satisfait).
Je viens d'appeler Irène. Je me suis montré enjoué, lui ai parlé de mes plantations, de la saveur des plaisirs simples, et je l'ai invitée à dîner.
–Désolée, Jean, mais c'est un peu trop tard pour nous. J'ai rencontré quelqu'un.
Le jardinage et ce coup de fil à Irène, mais qu'est-ce qui m'a pris? Je le savais, il n'y a rien à attendre de la vie. Que du mouron et des orties.
Photo: YLD
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