samedi 13 juin 2009

Arrêt sur image


Leurs regards braqués sur moi. Lourds de convoitise, de frustration aussi. Je me sens prise au piège dans la nasse de leurs fantasmes. Je ramène mon étole sur mon épaule, fragile bouclier contre la violence de leurs désirs, la griffure de leurs railleries égrillardes. De mon émoi, je leur octroie juste ce qu'il faut pour les troubler. Je suis une Américaine, une femme libre de choisir. La séduction, je la conjugue à un autre mode, en Technicolor.
Depuis quinze ans, chaque soir, j'accroche mes pensées à cet instantané. Je rentrais du travail lorsqu'Elle m'a accostée. Elle cherchait des figurants, me trouvait quelque chose de différent, ma démarche peut-être, ou mon port de tête. Le lendemain, Elle me photographia dans cette rue. Trois semaines plus tard, j'étais en couverture de Cosmopolitan. Je n'avais plus qu'à attendre. Dans un mois, deux tout au plus, le téléphone sonnerait.
Je pouvais, comme Liz, toutes griffes dehors, reconquérir mon amour, qui sombrait dans l'alcool et la dépression; comme Ava, enflammer les hommes du monde entier, nonchalamment adossée à un piano; comme Lauren, les faire craquer d'un simple «Anybody's got a match?»

Quinze ans de hors-champ, et la voix de plus en plus insistante de Humphrey: «La vie se comporte bien souvent comme si elle avait vu trop de mauvais films […].»
Coupez!
Photo: Ruth Orkin, An American Girl in Italy

4 commentaires:

nlrcontact@noos.fr a dit…

Fantasme, fantasme, tu fais tourner le monde...

@marisesargis a dit…

Quelle photo... et quel texte superbement écrit. j'adoooore.

Yola Le Douarin a dit…

@Nicolai En tout cas notre microcosme individuel…

L.................uC a dit…

Chouette texte... Et puis Ruth Orkin est aussi co-auteur(e) du "petit fugitif" vu pour la première fois cet été et qui a fortement influencé la "nouvelle vague"... à voir ou revoir si ce n'est déjà fait;O)