samedi 18 juillet 2009

Palimpseste


Dans un mois la maison serait vendue. Enfant, elle y avait passé toutes ses vacances; aussi irait-elle donner un coup de main pour débarrasser les lieux, jeter ce qui était inutilisable, récupérer ces babioles où s'était fossilisée une parcelle de chacun. C'est ainsi qu'elle avait exhumé un album photo dont elle était l'unique protagoniste, moins l'héroïne peut-être que la prisonnière. Agée de quelques mois, elle se blottissait dans les bras de sa mère; à un an, elle posait, étonnée, aux côtés de sa grand-mère; à deux ans, elle riait au bonheur d'un après-midi de printemps dans le jardin de ses grands-parents; à treize ans, elle traînait son vague à l'âme sous le soleil d'août. A ces clichés convenus d'une enfance somme toute banale succédaient de drôles de portraits –elle devait alors avoir une quinzaine d'années. Dans l'ovale de son visage, soigneusement découpé, s'enchâssaient une tête de loup, un cobra, une orchidée, une Montre molle, parfois même un caillou ou une simple tache rouge, pauvres expédients pour enrayer la dissolution de l'être.
Flash-back. Quelque chose émerge, qui déchire la mémoire. Lointain écho d'un chaos ancien. Vision effarée de l'abîme. Le corps douloureux, la pensée meurtrie. Black-out.
Puis elle fut là, protégée par la superbe insolence d'une autre, dont elle dupliqua les traits à l'infini, à la folie. Jusqu'à ce qu'elle terrasse ses mauvais démons.
Photo: Katharine Hepburn, Richard Avedon

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