samedi 11 février 2012

Toi qui entres ici abandonne toute espérance


Tu es si belle, si belle et si sensuelle. Cinq ans que nous nous connaissons, et je t'aime comme au premier jour, plus et mieux qu'au premier jour. Bercé par ta voix, je savoure notre tendre tête-à-tête, préambule d'une nuit caressante et passionnée. Je suis furieusement amoureux, follement heureux.
Renaud? Quoi, Renaud? Le prénom claque comme un coup de feu, déchire l'atmosphère feutrée de ce restaurant où nous fêtons l'anniversaire de notre rencontre. Les mots que tu prononces me massacrent le cœur, me crucifient. On était ensemble depuis six mois quand il t'a avoué que tu lui plaisais. Tu n'as pas hésité. Pas vraiment. Tu tenais à moi. Tu ne voulais pas détruire notre relation. Menteuse, menteuse! Tu n'as pas choisi, tu as pris les deux. Tu vis avec moi, mais tu es avec lui. Tu m'as accordé le quotidien, l'habitude et les déceptions. Tu lui as décerné le romanesque, le prestige, l'enchantement. Il ne s'est rien passé, dis-tu. Mais cinq ans après tu y penses encore, durant tout ce temps tu t'es fabriqué ton pays des merveilles, où ton seigneur règne, noble et souverain. Et ce soir, tu t'es… dénoncée? Confessée plutôt, sûre de mon absolution. J'aurais préféré qu'il devienne ton amant. Nous aurions pu lutter à armes égales, lui et moi. Mes petits chantages contre sa mauvaise foi, mes lâchetés contre ses hypocrisies. Non, tu l'as rêvé. l'homme idéal, absolu, inaltérable. Tu ne m'as pas trompé, tu m'as trahi. Je n'ai pas cillé, pas bronché pendant que tu déballais ton sale petit secret. Tu pâlis, ton rire se brise dans ta gorge. As-tu compris? Pressens-tu ce que je te réserve? Prendre une maîtresse? Tu n'es pas assez naïve pour espérer une rémission à si bon compte. Tu devras expier, mon amour. Louer devant tes amis mes comportements les plus vils comme des actions d'éclat, applaudir à mes diatribes enragées, à mes pathétiques péroraisons, m'admirer, me vénérer, me révérer quand je ferai mon minable numéro de pitre, ridicule et vulgaire. Te vautrer dans la fange de ma médiocrité. Je te veux indécente, servile, abjecte. Ce ne sera pas l'enfer, mon amour. Un long et douloureux purgatoire.
Photo: YLD, Installation de Jeanne Laurent.

9 commentaires:

NLR a dit…

Pas mal !, mais dans le feu de l'échange on se perd un peu car on ne sait pas si c'est lui ou elle qui parle, qui répond. Je me dis peut-être que ce flou de genre dénote la "confusion des sentiments" ; que c'est voulu. (surtout qu'il est bisexuel, si j'ai bien suivi...) Auquel cas c'est très réussi. :)

Yola Le Douarin a dit…

@Nicolaï: pour le narrateur c'est un peu confus, oui (du coup, le texte l'est peut-être un peu trop). Renaud ne lui est certainement pas indifférent, mais est-ce avoué, assumé? En tout cas, c'est sans doute pour cela qu'il lui en veut tant à elle.

aléna a dit…

whaou! excellent! - mais effrayant...

philippe a dit…

effrayant comme les histoires d'amour, effrayant comme ce petit enfer qui se tient en boule dans le ventre et consume tout espoir du retour au banal,c'est çà, seulement la nostalgie de la banalité d'un bonheur sans relief

Yola Le Douarin a dit…

@aléna: merci, ravie de vous accueillir.
@Philippe: dans les moments difficiles, il arrive que l'on se dise que l'absence d'aspérités c'est déjà du bonheur.

Fernand Chocapic a dit…

Et dire que j'ai fait tout un cinéma parce que j'étais tout seul le jour de la Saint-Valentin ... je ne connais pas mon bonheur !

Yola Le Douarin a dit…

@Fernand: si tous les solitaires de la Saint-Valentin se donnaient la main… Euh, non ce serait encore pire!

Viv a dit…

Quel bonheur ! Waou, Yola, c'est magnifique ! J'adore !
L'amour et la haine, toujours aussi proches.
Sur un seul point je suis d'accord avec lui : elle aurait dû le tromper, héhé. Car elle subira la punition sans avoir pu profiter des bons côtés... Car il se trompe quand il dit que ç'aurait été mieux pour lui qu'elle le fasse. Mais bon, il se console comme il peut. Et tout est foutu entre eux, à jamais.

Yola Le Douarin a dit…

@Viv:merci. Ce doit être, en effet, un moyen de supporter ce qui nous blesse en pensant (ou en faisant semblant de penser) que ça aurait été mieux si…