J'ai tué Paula. La logique policière cherchera un mobile: jalousie, haine, intérêt financier, vengeance. Rien de cela. Un coup de folie, suggérera-t-on. Laissons cet argument à mon avocat, qui en aura bien besoin pour tenter de défendre ma cause, de convaincre les juges. Paula m'aimait, et moi autant que je le peux, négligemment, désabusé. Elle avait voulu vivre avec moi. Je n'avais pas refusé, ni accepté. Je n'y accordais aucune importance. J'étais disponible, neutre. Je ne me sentais pas concerné. Nous avions fait l'amour. Je tenais Paula dans mes bras, je caressais son ventre, ses seins, son cou. Lentement, j'ai resserré mon étreinte, serré, serré. Mes doigts se contractaient, se crispaient. D'abord, Paula se laissa faire, pensant qu'il s'agissait d'un jeu. Quand elle peina à respirer, elle essaya de se débattre, affaiblie déjà par le manque d'oxygène. Dans ses yeux, je lus l'incompréhension, la peur, la terreur, puis son regard s'éteignit. Paula repose à mes côtés sur le lit, diaphane, mystérieuse comme la première fois. Je vais appeler la police. Plus tard. Il y aura un interrogatoire, long, déplaisant. Toujours les mêmes questions. Des explications à donner. Des raisons à fournir. Une reconstitution, peut-être. Inconvenante. Un procès, bien sûr. On attendra des regrets, des remords, qui n'ont pas lieu d'être. J'ai tué Paula. Ni préméditation ni accident. Le fait singulier qui devait me soustraire à la terne indifférenciation de mon existence. Finalement, cela revient au même. Je serai condamné à une lourde peine, comme on dit. Il me semble que la détention ne me pèsera pas trop. Au début, ce sera sûrement incommode et ennuyeux, puis je m'y habituerai et je n'y ferai plus attention. La lumière violacée de l'aube se faufile sous les doubles rideaux. Je me lève, me douche et passe un jean et un polo. Je veux avoir le temps de prendre mon petit déjeuner, j'aime bien ce moment. Je bois une tasse de café, mange toasts beurrés et tartines de confiture. Je ne me presse pas. L'odeur de noisette du pain grillé, le crissement du beurre qu'on y étale, la douce amertume de l'orange, l'onctuosité des cerises noires. Je me sers une seconde tasse de café. Je crois que mon petit déjeuner me manquera, ça me contrarie.
–Vous avez demandé la police, ne quittez pas.
–J'ai tué Paula.
Photo: YLD–Vous avez demandé la police, ne quittez pas.
–J'ai tué Paula.
5 commentaires:
Vous avez mis du Camus dans votre café du matin !
Quelle claque....bon, je vais me faire un café maintenant...
@Fernand: sans doute quelques gouttes (merci du compliment). Or donc, recommençons: Paula est morte ce matin… :)
@Philippe: avec ou sans sucre? Un nuage de lait, peut-être? :)
Mais au bouuuuut du coooompte, on se rend compte, qu'on est toujours tout seuuuuul au monde ! Toujours tout seuuuuul au monde...
@Viv: oui mais, lui, ça a l'air de plutôt lui plaire
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