Elégante dans sa robe bleu nuit, elle était plongée dans un magazine. Une capeline assortie à son vêtement dissimulait à-demi son visage. Lorsque l'homme pénétra dans le compartiment, elle répondit distraitement à son salut. Il s'assit en face d'elle et accrocha son regard à ce corps bien modelé, que la posture légèrement guindée rendait presque pictural. Elle semblait tout à la fois accepter cette attention insistante et lui opposer une présence lointaine, abstraite. Silencieux, l'homme l'enveloppait d'une sensuelle sollicitation. Elle leva les yeux. Il l'observait, tendre et insouciant. C'était doux, grisant, voluptueux, et vaguement douloureux. Eurydice reprit son magazine. Sur la couverture, Grace Kelly, à bord du Constitution, s'apprête à quitter New York, à rejoindre son prince, qu'elle connaît pourtant bien peu. Elle est radieuse, paraît confiante. Le train entrait en gare. L'homme toucha l'épaule d'Eurydice «Venez, je vous emmène». Elle sourit, un instant consentante, puis se ravisa. «Venez, ne renoncez pas», la pressa-t-il. Le train redémarrait, l'homme sauta sur le quai. Il l'aurait arrachée à son abstinence têtue de la vie. Ils se seraient crus heureux. Puis l'irrémédiable désenchantement, la fatale, l'infernale désillusion. L'homme était tombé amoureux d'une passagère, secrète, clandestine, il n'aurait pas pu, pas su faire taire l'obsédante supplique de la femme: Regarde-moi, pas mon visage, pas mon corps, mon tourment. Regarde-moi et aime-moi. La silhouette de l'homme s'estompait, disparut à l'horizon. Déjà, il n'était plus à elle. Le train filait dans la nuit tombante. Eurydice se sentait radieuse et confiante.
Photo: YLD
Ecouter le mouvement éternel des étoiles
Il y a 4 jours
2 commentaires:
Je suis déjà tombé amoureux d'une passagère. J'ai eu bien du mérite car elle ne portait ni capeline ni robe bleu nuit, mais un simple jean.
c'est beau, un rêve...
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