samedi 21 mars 2009

Mind the gap!


Ils se précipitent dans le métro au moment où les portes se ferment. Cinq garçons, cinq du 9.3. Un costaud blond portant une veste en cuir noire et rouge tient un doberman par son collier.
–Assis, Rocky, calme, calme.
Ne supportant pas d'être tenu si court, l'animal montre les crocs, grogne, puis, dans une dernière tentative pour se libérer de l'emprise de son maître, aboie furieusement.
A young English girl sitting on a folding seat stands up.
L'un des garçons, casquette NY vissée sur la tête et baskets Airness aux pieds, essaie de la retenir.
Le chien, qui a perçu la panique de la fille, aboie de plus belle.
Scared, she rushes forward to the middle of the carriage.
Le grand blond a réussi à apaiser sa bête, qu'il gratifie de temps en temps d'une caresse.
Le garçon à la casquette rejoint la jeune Anglaise.
–C'est bon. Il est pas méchant Rocky.
On le dirait presque désolé.
–Sorry, I don't understand.
–Tu peux r'venir, insiste-t-il en lui montrant le strapontin.
It's OK, it's OK, she answers, anxious, looking at the folding seat… and at the dog.
Il retourne près de ses copains et ne quittera pas l'Anglaise des yeux jusqu'à ce qu'ils descendent, à République.
Le métro repart, les laissant sur le quai.
Comforted, the English girl stares at the boys on the platform. Conforted, and a bit disappointed.
Photo YLD


samedi 7 mars 2009

In the sun



A 19h30 chez Harry's. Elle devait y retrouver Ed. En fin de matinée, une petite brume s'était levée, qui tempérait la chaleur de la mi-août et incitait à la somnolence, à la flânerie. L'après-midi s'écoulerait nonchalamment jusqu'à l'heure du rendez-vous. Elle mettrait sa robe grise, une tenue un peu stricte pour la saison, trop sage pour l'occasion. Une tonalité avec laquelle elle aimait jouer: gris perle, anthracite, argenté, qu'enflamme le vermillon d'une écharpe ou que réveille l'émeraude d'une broche. Ed lui dirait –il ne manquait jamais de le lui dire: «Il n'y a que toi qui porte le gris comme ça.» Elle aurait été déçue qu'une seule fois il s'en abstienne ou que, par un excès de zèle, il la complimente sur ses boucles d'oreilles ou son rouge à lèvres. Elle appréciait ce rituel, exigeait que son amant suive scrupuleusement sa carte de Tendre.
Chaque dimanche, Ed lui faisait livrer trois tulipes perroquets, subtil équilibre entre simplicité et sophistication, variation florale de la femme qu'elle était. Un jour, sans doute emporté par un de ces emballements que fait naître la passion, il lui avait fait parvenir trois lys blancs. Leur parfum suave et capiteux lui… soulevait le cœur. Elle en avait été bouleversée. Une indélicatesse qu'elle avait préféré ignorer, passer sous silence, obstinément. Ed ne s'y était pas trompé. Le dimanche suivant, elle recevait trois tulipes perroquets.
Ed l'aimait comme elle le voulait, sincèrement mais à sa façon à elle. Que savait-t-il vraiment d'elle? Il pensait la rendre heureuse en acceptant l'image qu'elle avait forgée. Etait-elle, ne serait ce qu'un peu, ne serait-ce que par instants, la femme qu'il chérissait? Elle se sentait soudain tendue, irritée. Elle se précipita sous la douche; la fraîcheur de l'eau l'apaisa. Elle revint dans la chambre, s'assit, nue, dans le fauteuil devant la fenêtre ouverte. La lumière miroitait sur sa peau. Elle déposait les armes, s'abandonnant enfin, indécise, irrésolue.
Il était trop tard pour Ed.
Eleven AM, Edward Hopper