dimanche 8 novembre 2015

Cosmogonie domestique



C'est elle. Celle qu'il attend depuis toujours. Rousse aux yeux d'or. Réservée, douce, cultivée. Il représente son entreprise à cette réception donnée pour l'inauguration d'une nouvelle galerie. Elle accompagne un ami qui y expose. Il la reconduit, la laisse devant chez elle. Elle ne lui propose pas de prendre un dernier verre. Distinguée. Ils doivent se revoir dans quelques jours. Il veut avoir le temps de l'imaginer dans son univers quotidien. Un appartement de style contemporain, sobre, presque dépouillé. Camaïeu de gris, meubles design, estampes aux murs. Elégance et raffinement. Un intérieur lumineux, calme, luxueux, racé. Il la rappelle, l'invite à dîner. Elle hésite. Accepte. Il retient une table dans un restaurant très étoilé. Ambiance feutrée, décor épuré, cuisine minimaliste. Il se veut éloquent. Affirme, profère. Elle objecte que… Il l'interrompt d'un ton avantageux, disserte, professe «Dataréalisme[…] création de valeur potentielle[…] esprits étriqués, rétrogrades[…] esthétisme de la monétarisation[…] tellement évident[…]». Elle l'observe, silencieuse, sourit de temps à autre. Il la croit séduite. D'une assurance victorieuse, il s'impose jusque chez elle. Pénétrer dans son intimité, en prendre possession. Excité, impatient, il s'attarde quelques secondes sur le palier, puis s'introduit dans le saint des saints.
Monceau de coussins, débandade de poufs, fatras de livres, bibelots, vinyles. Orange, fuchsia, caramel. Reproductions de Francis Bacon, affiches d'Almodovar. Un effroyable capharnaüm. Un infâme pandémonium. 
L'univers chaotique d'avant l'intervention divine. La sienne. 
Photo: YLD