vendredi 25 septembre 2009

Aftermath


Soit deux entiers relatifs qui se sont follement aimés.
J'étais installée à la terrasse d'un café, suivant, rêveuse, le va-et-vient des passants. Tu t'es assis à la table voisine, plongé dans la lecture de l'Arithmetica de Diophante. Ce qui infirmait d'emblée l'hypothèse d'une conversation, mais les lois du hasard sont impénétrables, et tu énonças brillamment ton théorème de la séduction.
Posons, tout d'abord, comme vrai l'axiome d'une passion asymptotique tendant vers un amour infini.
Considérons, ensuite, les profondes divergences (que, peu à peu, nous avons bien dû constater) entre les termes de nos équations existentielles –déchiffrer, chaque samedi à Auchan, la liste des courses en kobaïen me rend folle. D'où il résulte une inadéquation fondamentale de nos résolutions géométriques quotidiennes.
Alors si E=mc2, on en déduit que la masse de nos attentes déçues et de nos désillusions [même multipliée par la vitesse de la lumière au carré] ne peut mathématiquement pas produire l'énergie suffisante et nécessaire au développement complexe des identités remarquables de notre binôme.
Par conséquent, inutile de chercher la quadrature du cercle, je prends la tangente.
Photo: YLD

samedi 12 septembre 2009

Grain blanc


Maggy avait insisté pour que Charlie passe à la banque déposer le chèque que tante Clara leur avait envoyé pour leur vingtième anniversaire de mariage. D'habitude, c'est elle qui se charge de ce genre de chose. Lui s'en débrouille mal, perd vite patience. D'un naturel bourru, il se renfrogne encore dès qu'il franchit le seuil de l'imposant bâtiment de la Barclays, qui semble lui reprocher sa vie de labeur et les fins de mois difficiles. Jusqu'à la lourde porte à tambour qui joue les cerbères.
Bougonnant contre Maggy, il pousse mollement le battant. Arrivé à mi-course, le tambour grippe, résiste, cède quelques centimètres, s'immobilise. «Coincé, fait comme un rat!», fulmine Charlie. Il frappe à la paroi de verre, gesticule pour attirer l'attention de l'agent de sécurité posté dans le hall. «Hé! vieille baderne, tu vas me tirer de ce pétrin», maugrée-t-il. L'homme en uniforme a l'oreille collée à son talkie-walkie. On est manifestement en train de l'avertir que quelque chose cloche. Il fait un signe aux «prisonniers», geste d'apaisement et de réconfort, dont Charlie, suspicieux, a vite fait de détourner le sens: «Mais comment va-t-on vous sortir de là?»
Brune, élégante, follement séduisante, elle attend, amusée, dans le compartiment en vis-à-vis, promenant négligemment son regard sur Charlie. Charlie, pris dans les rets soyeux de ses cils, submergé par la vague scélérate de son sourire, entraîné vers les grands fonds du désir. Charlie, qui, la poitrine oppressée, les oreilles bourdonnantes, les yeux voilés, plonge en apnée vers des abysses de passion. La foudre lui torpille le ventre; une lame de fond le précipite sur la grève.

Groggy, au beau milieu du trottoir. Il cherche quelques secondes sa respiration, puis, jetant un coup d'œil à sa montre, s'éloigne à grandes enjambées. Avec un peu de chance, il aura le train de 17h33.

Photo Lee Friedlander, New York City.