dimanche 24 avril 2016

Sens dessus dessous


Quinze jours en Lozère, seule dans la maison familiale. A ne rien faire. Je profite de la douceur printanière. Allongée sur la pelouse, je vagabonde, je contemple. Le ciel moucheté de nuages cotonneux. L'austère silhouette des pins. Les pépites de mica dans le mur de granit. Un papillon voltige, se pose sur un brin d'herbe. Grand ou petit apollon, sylvain azuré, Vanessa atalanta, Acherontia atropos? Papillon. Le générique lui convient tout aussi bien, dirait-on. Peut-être se satisferait-il de libellule, s’accommoderait-il même de voilette, tulle, satin ou soierie. L'arbitraire du signe. Le mariage de raison du signifiant et du signifié. Qui doivent en avoir marre depuis le temps.
[mardəpɥlətɑ̃]

Langogne-Paris 6 heures 45 de train.
–Bondametroldeslets. Ma-da-me, veuillez pré-sen-ter votre bil-let, reprend, suspicieux, le contrôleur.
D'un geste sec, je lui tends mon Intercités non échangeable-non remboursable.
J'ai l'impression d'avoir raté quelque chose. Je m'enquiers auprès de mon voisin «Chèwaleubouien?» L'homme me gratifie d'un sourire hésitant entre perplexité et consternation, puis se réfugiant sous son casque m'abandonne au brouhaha du wagon.
Je me sens un peu déphasée après mes deux semaines érémitiques. Ça va passer.
Ça ne passe pas.
Mes phrases s'embarrassent, s'enchevêtrent, se percutent, se brouillent. Cacophonie. Je remplis les blancs d'un silence que je voudrais éloquent.
Un peu inquiète, je consulte un ORL. Aucune déficience auditive. Un neurologue. Pas de surdité verbale.
Le sens m'échappe –s'échappe– de plus en plus souvent. Je comble son absence avec du probable, de l'aléatoire. Mon phrasé s'alanguit ou cavalcade. Les mots s'affranchissent, s'expriment à la volée, volages. Volapük. 
Je les laisse aller. Fantasques et triomphants.
Un psy, me suggère-t-on. Vous traduisez vos maux…
Mes mots! Mais, ma parole, nous sommes de connivence!
Photo: YLD, Keith Haring