samedi 28 janvier 2012

Love machine


La conquête de l'Ouest, l'Odyssée de l'espace. A partir d'aujourd'hui, les membres de Robearth peuvent entrer directement en relation avec ceux de Facebook. Sur le réseau social des androïdes, cybors et autres bionic people, je comptabilise un bon millier de friends, parmi lesquels plusieurs centaines de girl friends. Un dragueur virtuel? Plutôt un meneur de jeu. Après quelques chats préliminaires, j'obtiens sans peine un rendez-vous. Des complicités d'occasion, des aventures fortuites, que je me plais à convertir en liaisons en pointillés. On reste en contact, on se revoit, on s'oublie un peu, on se fait signe de temps en temps. Je mise sur mon capital séduction, force ma chance, joue presque toujours gagnant. Et aujourd'hui, mon champ d'action s'élargit aux humaines.
Comme tous les androïdes de ma génération –les vingt-vingt-cinq ans–, je suis doté d'une intelligence artificielle très développée et –cela va de soi– de la parole. Les plus élaborés d'entre nous ont été sélectionnés par Home Assistant. Cette agence propose ses prestations à des hommes d'affaires, des industriels, des avocats, des médecins, des journalistes. Bref, des gens très occupés qui doivent déléguer la gestion du quotidien. Ainsi, je me charge des courses hebdomadaires, lave la voiture ou l'apporte au garage, je vais chercher Vivien à la sortie de l'école et l'aide à faire ses devoirs, commande les petits fours et sers les rafraîchissements lors des réceptions… Depuis deux ans que j'interviens chez Aymeric Lebreteuil, un ténor du barreau parisien, j'ai su me rendre indispensable. M Lebreteuil apprécie mon efficacité, mon sérieux, ma ponctualité, ma discrétion. Mme Lebreteuil ne jure que par moi, si gentil, serviable. Tout à fait charmant, tout simplement craquant. Quant à Lara Lebreteuil, l'aînée de la famille, dix-sept ans, elle ne perd pas une occasion: S'il te plaît, mon scooter ne démarre pas. Sois sympa, mon ordi est complètement planté. Oh, c'est horrible, mon iPhone m'a lâchée, fais quelque chose. C'est d'ailleurs en examinant le précieux téléphone pour tenter de détecter l'origine de la panne que je suis tombé sur le SMS révélateur: Finder est amoureux de moi, confiait Lara à sa meilleure copine. Amoureux, quelle drôle d'idée. Je ne sais pas exactement en quoi cela consiste. Des humains de mon âge m'ont décrit ce curieux état qui perturbe leur programme. Mais bon pourquoi pas, si les humaines fonctionnent comme ça! Souriant, amical, badin, j'abats tranquillement mes atouts. Sous peu, Lara me demandera comme ami. Je deviendrai l'ami de ses amies, l'ami de leurs amies, de leurs amies, de leurs amies…
Photo: YLD

samedi 14 janvier 2012

Touché, coulé


Un Johnnie Walker le soir en rentrant, ça aide à avaler les contrariétés, tous ces trucs qui restent en travers de la gorge. Ça ne réconforte pas, ça ne réconcilie pas, ça console. Un whisky ou deux, plutôt deux, et tu évolues dans une réalité floutée, aux angles émoussés, tu gommes les aspérités, tu bazardes tes complexes, tu largues tes frustrations. D'un revers de main, tu envoies balader cette satanée bestiole planquée au fond de ta tête qui te reproche sans cesse ton manque d'envergure. Tu n'es pas Brad ni George, même pas Tom. Et alors? Des conneries. Vraiment rien à foutre. Tu redimensionnes, tu retouches, tu optimises. Mais le déclic libérateur peine de plus en plus à se déclencher. On appelle ça la tolérance. L'alcool, ta seule parade à l'intolérable béance qui te donne le vertige, à l'insupportable dégoût qui te retourne l'estomac, à ce déficit d'être qui te poisse d'angoisse. Le deuxième verre en convoque un troisième, un cinquième. Parfois –souvent–, tu forces la dose, juste de quoi te reconnaître dans ce mec gonflé, qui en met plein la vue. Affalé sur le canapé, tu les mates tous, ces crétins que la vie a mieux armés que toi. Ce soir, une bouteille ne suffit pas, tu en attaques une autre, comme hier, comme avant-hier.
You talking to me, hein?
Mais non, allez laisse tomber!
Même boire tu n'en as plus envie.
Johnnie se débattait dans son scotch, coulait, remontait, s'enfonçait, refaisait surface.
Tu a posé un doigt sur sa tête. Lentement, fermement, tu as appuyé.
Photo: YLD