vendredi 30 octobre 2009

All about Louis


Il n'y a pas de quoi fouetter un chat. La situation est banale. J'y réponds, selon l'humeur du moment, avec humour –non, pas Nathalie, Monica Bellucci– ou irritation –pas du tout, au revoir. Il m'arrive –rarement, ne me faites pas pire que je ne suis– d'être franchement désagréable. Non que je sois inhospitalière, mais parfois ça tombe vraiment mal. En pleine discussion, moins une discussion qu'une mise au point, avec mon dernier, qui m'annonce penaud, juste ce qu'il faut pense-t-il pour tempérer mon courroux, qu'il a perdu son trousseau de clés pour la cinquième fois en deux semaines. Ou avec mon aîné, qui réapparaît après trois jours de silence radio alors que le bac est dans un mois et que, de toute façon, il n'a pas à s'évanouir dans la nature. Pourquoi?, demande-t-il, faussement naïf, et bien… parce que c'est comme ça! (Oui, l'argument est faible.)
Un abonné, de SFR, d'Orange, de Bouygues ou de tout autre opérateur chez qui il aura souscrit le forfait qu'il aura jugé le plus intéressant –en consommateur avisé, il aura sûrement comparé soigneusement les offres du marché, épluché les conditions du contrat, se méfiant des propositions trop alléchantes–, un abonné donc a composé par erreur mon numéro alors qu'il voulait –dans ce contexte, je ne peux évidemment pas déterminer s'il souhaitait ou s'il devait le faire pour des motifs professionnels ou privés– parler à quelqu'un d'autre –un ami de longue date qu'il a revu récemment, son DRH (à supposer qu'il soit malade ou ne supportant plus son chef de service qu'il s'apprête à démissionner) ou encore à la jeune femme rencontrée samedi dernier au pot organisé en l'honneur d'un de ses collègues qui vient de décrocher une promotion, à la crémaillère de son voisin de palier ou au mariage de son cousin.

En règle générale, la situation se clarifie rapidement: ce n'est pas le bon numéro, excusez-moi, il n'y a pas de mal, ou n'importe quelle autre formule appropriée. Mais une règle –j'en ai comme tout un chacun fait l'expérience– souffre des exceptions.
La mamie de Louis –ç'aurait pu être Martin ou Vincent, mais j'ai un faible pour Louis, sans doute à cause de… Bref, la mamie de Louis voulait absolument convenir avec Kim –Kim Gordon, Kim Deal…, non juste Kim, la copine de Louis– du cadeau à offrir à son petit-fils pour son anniversaire. J'ai tenté de couper court: je ne suis pas Kim, je ne connais pas Louis –encore que par un heureux concours de circonstances nos routes auraient pu se croiser, j'en aurais probablement été ravie, Louis étant certainement un charmant garçon.
I think about the meaning of my life again and I have to sing Louie, Louie again.
Malgré mes efforts –je vous accorde que je n'ai pas été très radicale, mais je la trouvais craquante, mamie– impossible de lui faire entendre raison, et de me faire entendre tout court, car mamie est un véritable moulin à paroles. Imperturbable, elle soliloquait, tergiversait, s'interrogeait: qu'est-ce qui ferait plaisir à Louis? Un de ces appareils qui vous mettent sur le bon chemin? Ou ces téléphones qui servent à tout un tas de trucs? –Personnellement, j'aurais tendance à préférer l'iPhone; me déplaçant la plupart du temps en métro, je ne vois pas l'utilité d'un GPS. Mais là n'était pas la question. En fait, quelle était la question? Emportée par le bagou et l'enthousiasme de mamie, je me pris au jeu et j'abondais dans son sens quand elle suggéra qu'Edouard –je parvins non sans difficulté à identifier ce nouveau protagoniste, le frère de Louis– se chargerait de l'achat. Une aubaine, Edouard!
Avant de raccrocher, je cédais à l'insistance de mamie et lui promis de faire mon possible pour venir à la fête –elle a enfin admis que je ne suis pas Kim, mais m'a ajoutée d'office à la liste des contacts de Louis. Je me suis reprochée après coup –j'ai l'esprit d'escalier, mes amis vous le diront– de ne pas avoir demandé l'adresse de mon nouveau camarade. Finalement, j'y serais peut-être allée à l'anniversaire de Louis. J'aurais joué l'invitée mystère. Nous aurions pu…
Something is lost Turn on the news it looks like a movie It makes me wanna sing Louie Louie.

Photo YLD

dimanche 18 octobre 2009

Desiderata


Dire que c'est votre péché mignon ne donnerait pas l'exacte mesure de la situation. Parler d'addiction serait peut-être excessif. En vérité, vous êtes absolument incapable d'y résister. Vous vous rendez à la première offensive. Une tarte au citron meringuée vous transporte dans le jardin des délices. Vous succombez. Un fondant au chocolat noir vous fait atteindre le nirvana. Vous défaillez. Quant à ces rabat-joie qui vous serinent que la gourmandise, un des sept péchés capitaux, vous condamne au feu de la géhenne, sans espoir de rémission, n'ont-elles donc jamais savouré le fruit défendu?
Et voilà que vous êtes punie par où vous avez fauté. Une idée assassine attrapée en surfant comme on chope un mauvais rhume sème le trouble dans votre esprit, ne vous laisse aucun répit, vous assaille, vous tourmente, vous ronge. La cause semblait pourtant entendue. Si vous plaidiez coupable, c'était d'une simple peccadille, rien de peccamineux. Hum! N'est-ce pas là tenter le diable? Sentant vaciller vos certitudes, vous convoquez les grands penseurs, hédonistes et autres épicuriens. Il y aura bien parmi tous ces sages un conducteur d'âmes, un cicérone qui vous ramènera sur les rivages du plaisir. Qu'importe s'il vous faut braver l'immensité tumultueuse du «ou bien… ou bien», rudoyer la dialectique du désir, escalader le versant abrupt de l'impératif catégorique, vous embarquez pour Cythère.

Photo YLD
http://vimeo.com/5239013

mercredi 7 octobre 2009

Le corps du texte


Ce n'est pas un coup de foudre, pas plus un mariage de raison. Une affaire de cœur, certainement. Tandis qu'il prend possession des lieux, elle l'observe en catimini. La silhouette épaisse, la tournure gauche, et mal fagoté avec ça. Il pourrait avoir du charme s'il s'était un peu apprêté, avait soigné sa tenue. Mais non. Pressé, impatient, il s'est précipité. Du charme, et de l'esprit aussi s'il avait poli son style, renoncé à cette fausse assurance. Pensez-vous, ce serait se mettre à découvert, admettre ses gros défauts et –plutôt mourir– ses petites faiblesses. Alors, il essaie de lui en imposer, hausse le ton, fait le beau. Elle ne lui en tient pas rigueur, y voit surtout l'aveu de sa maladresse, un peu d'inquiétude malgré tout. Elle le gratifie d'un regard bienveillant, le complimente: joli grain de voix, pourquoi forcer la note? Allez, il est possible de s'entendre. Laissez là cet air prétentieux, ces manières de matamore!
Elle aime ce moment, fragile, à peine perceptible, où il baisse la garde, se livre peu à peu, la laisse se couler dans ses mots, s'abandonne à une étreinte, intense et éphémère, où chacun reçoit comme il donne, attentif, léger. Amants d'une saison, qui se quittent un beau matin, emplis de tendresse, reconnaissants l'un envers l'autre d'avoir ranimé cette petite flamme qui entretient le désir.
Photo: Mimmo Rotella, La Finestra