samedi 15 juin 2013

Flagrant délire

Il n'opposa aucune résistance aux forces de l'ordre. Campé sur le perron de M. Villeray-Belmont, directeur de la Banque européenne, il invectivait les profiteurs, vitupérait les exploiteurs, étrillait les spéculateurs, appelait à buter le capital, exhortait à flinguer la finance. M. Villeray-Belmont déposa une plainte auprès du procureur de la République pour incitation au meurtre. Son avocat, maître Jean-Charles Savigny, se répandit dans la presse sur le danger que représentait cet individu, qui, de toute évidence, n'avait pas agi de sa propre initiative, ce forcené, qui, manifestement, était manipulé par des extrémistes, des fanatiques, qui n'hésiteront pas, si on ne prend pas les mesures draconiennes qui s'imposent, à attenter à la vie de son client, lequel ne sera, soyez-en bien persuadé, que la première victime d'une longue liste… Maître Savigny clama sur toutes les radios et les chaînes de télévision qu'il ne se satisferait pas d'une simple condamnation, fût-elle à perpétuité; devant la gravité de la menace, il plaiderait –car il en est assez, assez de cette hypocrisie!– la peine capitale. Une sentence exemplaire qui dissuaderait tous ces indignés et autres illuminés. Excédé par l'ampleur que prenait ce litige et les déclarations tonitruantes de maître Savigny, le procureur s'apprêtait à faire jouer le principe d'opportunité des poursuites et à classer l'affaire sans suite lorsque maître Eva Barnolt-Huguelin s'empara du dossier et forma une requête au nom du prévenu, M. Jacquot, invoquant la loi n°81-908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort. Le parquet rejeta la demande au motif qu'elle était entachée d'une irrecevabilité manifeste. Qu'à cela ne tienne, maître Barnolt-Huguelin, qui ferraillait ferme, par médias interposés, avec maître Savigny, employa les grands moyens: en vertu de l'article 17 de la Constitution, elle adressa un recours en grâce au président de la République. La polémique enflait. La majorité tonnait contre le laxisme; l'opposition fulminait contre le tout sécuritaire. Finalement, Jacquot le perroquet fut confié à la SPA, chargée de lui infliger une thérapie comportementale.
Photo: YLD