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samedi 4 janvier 2014

Insoluble

Sur un coup de tête. Ou parce qu'elle n'en pouvait plus, espérait autre chose, elle s'était enfuie à Londres. A peine arrivée à l'hôtel, elle lui avait écrit Ne me laisse pas te quitter. Je t'aime. Je ne veux pas vivre sans toi. Elle avait attendu un appel, un SMS. Une semaine, un mois. Elle était rentrée à Paris. Un mot, un signe, elle serait revenue à lui, repentante, rassurée, heureuse. Il se taisait, l'exténuait de son silence.
Elle était partie depuis deux mois lorsqu'il reçut son message. Une grève de la poste l'avait laissé en souffrance tout ce temps. Pendant des jours et des nuits, à chaque instant, il avait cherché une explication, s'était perdu dans les hypothèses, égaré dans les conjectures. Il s'était tout reproché, l'avait accusée du pire. Il l'avait insultée, avait rêvé son retour, l'avait détestée, avait prié, lui qui ne croyait à rien ni à personne, l'avait maudite. Quand la carte lui était parvenue, il avait déjà renoncé. S'il l'avait reçue avant, les choses auraient-elles été différentes? Il trancha dans le vif. Trop tard, martela-t-il férocement. C'est trop tard.

Obéissant à une obscure impulsion, une sournoise désillusion, elle s'était éclipsée, voulait juste s'absenter un peu du quotidien. Dans le train, elle l'avait appelé Ne me laisse pas te quitter. Je t'aime. Je ne veux pas vivre sans toi. Je m'en fous, lui avait-il répondu d'une voix tremblante de colère. La rage au cœur, il avait raccroché. Elle l'avait abandonné. Elle n'était plus rien pour lui, décréta-t-il, impitoyable, effacée de sa vie, expurgée de ses pensées. Elle rappela, se fracassa sur les brisants de sa rancœur. Elle se désolait de sa précipitation. Si elle avait patienté un peu, un jour ou deux, les choses auraient-elles été différentes? Elle s'accrocha à cet espoir. C'était peut-être trop tôt.
Photo: YLD

samedi 17 novembre 2012

Revanche

Un fils de rien, comme celui-là, avait raillé l'homme en pointant son doigt vers moi. Elle avait haussé les épaules, indifférente, puisque, de toute façon, il l'avait bannie.
A seize ans, ma mère, fille d'un gros propriétaire terrien beauceron, s'était enfuie avec celui qui allait devenir mon père, un journalier venu faire la moisson l'été précédent. Ses parents la destinaient à un voisin, célibataire endurci d'une quarantaine d'années qui avait du bien. La timide et obéissante Mado s'était révélée une amoureuse impétueuse. Livrée aux premiers tourments des sens, elle avait décliné l'honnête mariage, le confort de la grande maison, la compagnie paterne que lui offrait le quadragénaire. Elle ne regrettait pas sa décision, affirmait-elle. Malgré l'argent qui manquait souvent, les quatre enfants à nourrir, et le cinquième qui serait bientôt là. Bien sûr, à seize ans, elle n'imaginait pas cette existence de privations, elle n'aurait pu concevoir que son amour s'userait de s'être trop longtemps frotté aux aspérités du quotidien, que son homme ne la regarderait plus que comme un vieux camarade de lutte. Elle ne connaissait pas la vie, alors. Son horizon se bornait aux bras de son amant. L'avenir avait la saveur des baisers dont il la couvrait et la splendeur de leurs étreintes.
Mado racontait, humble, sincère, généreuse. Une colère froide m'envahissait, la haine me submergea. Je me jetai sur ma mère, poings serrés. Fils de rien, fils de rien! La fureur m'aveuglait. Il y eut un cri. Une poigne énergique me plaqua au sol. Ma mère disparut quelques jours de la maison. Quand elle revint, elle était seule. Pas un mot ne fut prononcé. Pas un reproche.
Dur, égoïste, avide, chuchote-t-on dans mon dos. Mais puissant, influent, craint. Un homme dont on dit «c'est quelqu'un».

Photo: YLD, Francis Oudin, La Boîte monde

samedi 11 février 2012

Toi qui entres ici abandonne toute espérance


Tu es si belle, si belle et si sensuelle. Cinq ans que nous nous connaissons, et je t'aime comme au premier jour, plus et mieux qu'au premier jour. Bercé par ta voix, je savoure notre tendre tête-à-tête, préambule d'une nuit caressante et passionnée. Je suis furieusement amoureux, follement heureux.
Renaud? Quoi, Renaud? Le prénom claque comme un coup de feu, déchire l'atmosphère feutrée de ce restaurant où nous fêtons l'anniversaire de notre rencontre. Les mots que tu prononces me massacrent le cœur, me crucifient. On était ensemble depuis six mois quand il t'a avoué que tu lui plaisais. Tu n'as pas hésité. Pas vraiment. Tu tenais à moi. Tu ne voulais pas détruire notre relation. Menteuse, menteuse! Tu n'as pas choisi, tu as pris les deux. Tu vis avec moi, mais tu es avec lui. Tu m'as accordé le quotidien, l'habitude et les déceptions. Tu lui as décerné le romanesque, le prestige, l'enchantement. Il ne s'est rien passé, dis-tu. Mais cinq ans après tu y penses encore, durant tout ce temps tu t'es fabriqué ton pays des merveilles, où ton seigneur règne, noble et souverain. Et ce soir, tu t'es… dénoncée? Confessée plutôt, sûre de mon absolution. J'aurais préféré qu'il devienne ton amant. Nous aurions pu lutter à armes égales, lui et moi. Mes petits chantages contre sa mauvaise foi, mes lâchetés contre ses hypocrisies. Non, tu l'as rêvé. l'homme idéal, absolu, inaltérable. Tu ne m'as pas trompé, tu m'as trahi. Je n'ai pas cillé, pas bronché pendant que tu déballais ton sale petit secret. Tu pâlis, ton rire se brise dans ta gorge. As-tu compris? Pressens-tu ce que je te réserve? Prendre une maîtresse? Tu n'es pas assez naïve pour espérer une rémission à si bon compte. Tu devras expier, mon amour. Louer devant tes amis mes comportements les plus vils comme des actions d'éclat, applaudir à mes diatribes enragées, à mes pathétiques péroraisons, m'admirer, me vénérer, me révérer quand je ferai mon minable numéro de pitre, ridicule et vulgaire. Te vautrer dans la fange de ma médiocrité. Je te veux indécente, servile, abjecte. Ce ne sera pas l'enfer, mon amour. Un long et douloureux purgatoire.
Photo: YLD, Installation de Jeanne Laurent.

vendredi 30 septembre 2011

Yolanda, be cool!


Nous aurions dû nous méfier. Ne pas nous laisser bercer par son nom irénique. La paix, tu parles! Imprévisible, impulsive, irréfléchie. Une chipie, qui nous a fait tourner en bourrique toute une journée, trépignant, sanglotant, faisant mine de se calmer, pour se déchaîner de plus belle. L'avait-on contrariée? Vexée? Blessée? Aucunement! La demoiselle est capricieuse, voilà tout. Il faut dire qu'elle a de qui tenir, Irène. Bien avant elle, Betsy et Camille se sont distinguées par leur mauvais caractère. Prenant un malin plaisir à tout bousculer sur leur passage, à mettre tout le monde sur les nefs. Horripilantes. Il n'y en a pas une pour rattraper l'autre. L'aînée d'Irène, Katrina, la gloire, l'orgueil de la famille, est une véritable furie, une harpie, un virago, qui sème la terreur autour d'elle. D'une bourrade, elle vous flanque par terre. Ecumant de rage, elle vous noie sous un flot d'invectives furibondes. Ses emportements sont redoutables, ses colères sauvages. Quant à Katia, la petite dernière, elle n'a rien trouvé de mieux, il y a quelques semaines, alors qu'on se remettait à peine de la visite tumultueuse de sa sœur, de jouer les enquiquineuses. Décidément, une mauvaise engeance, les Hurricane! Et l'on peut faire confiance aux benjamines, elles ne démériteront pas. Il est à craindre que l'on n'ait à
s'accommoder des sautes d'humeur d'Ophélia
tolérer les lubies de Mélissa
subir les extravagances de Félicia
endurer les frasques de Wanda
supporter les excentricités de Norma
souffrir les coups de folie de Yolanda
Photo: YLD

samedi 11 juin 2011

Braves gens, dormez en paix


Le couvre-feu avait été instauré tout d'abord dans la cité. Il avait été étendu aux quartiers environnants et progressivement imposé à toute la ville. Il était interdit d'être dehors après 23 heures. La mesure avait fait l'objet de quelques critiques dans la presse, mais la majorité des habitants s'y était pliée. Les altercations régulières entre des citadins mécontents et les forces de l'ordre, largement relatées par les journaux et la télévision, avaient instillé chez beaucoup de gens un sentiment d'insécurité que les politiques ne manquaient pas de cultiver en ces temps de morosité économique. Quant aux autres, ils n'eurent bientôt plus le choix. Toute personne qui enfreignait le couvre-feu était passible d'une amende de 90 euros et les récidivistes encouraient quelques jours de prison. Franck n'y voyait qu'une mesure répressive de plus, une sorte de radar urbain. Pas vu, pas pris! Et puis, Clara, son amie d'enfance, habitait à deux rues de chez lui. Après le départ des autres invités, il s'attarda un peu, prit un dernier verre, s'assura qu'elle allait bien, qu'elle ne digérait pas trop mal sa rupture avec ce farfelu qui partageait sa vie depuis trois ou quatre ans.
C'est au coin de la rue que Franck se fit arrêter. Cinq molosses lui barraient le passage. Surpris plus qu'effrayé, il fit quelques pas en arrière et entreprit de les calmer. Tout doux, tout doux. Trois d'entre eux émirent un grognement menaçant. Les babines retroussées, ils acculèrent Franck contre le mur et se campèrent en demi-cercle autour de lui. Franck fouillait l'obscurité, cherchant la silhouette des policiers qui commandaient la meute. Personne.
-Ton identité.
Franck n'était pas ivre. Le boerbull qui se tenait un peu en retrait lui avait parlé.
-Franck Delbor, répondit-il, essayant de garder son sang-froid.
-Et qu'est-ce que tu fais dehors, Franck Delbor?
Le cerbère s'avançait maintenant vers Franck avec l'arrogance que confère la force brute.
-Tu n'as pas entendu ma question, vociféra-t-il.
-Je, je… C'est pas possible, une histoire de fou, marmonna Franck.
- Allez, Franck Delbor, cette fois, on va juste te donner une petite leçon pour que tu ne t'avises plus d'oublier l'heure.
Sur un signe de leur chef, les trois nervis plantèrent leurs crocs dans les mollets de Franck, lui happèrent un bras, lui lacérèrent le dos de leurs griffes. Franck s'écroula sur le trottoir, se recroquevilla pour tenter de se protéger, pleurant de rage autant que de douleur.
Dès le lendemain, Franck raconta sa mésaventure à ses amis, sa famille, ses collègues, ses voisins. S'il n'était pas le premier à qui ça arrivait, jusque-là les contrevenants s'en étaient tirés avec une belle frayeur. Alors, on préférait se taire, on veillait juste à ne pas s'attarder lorsqu'on sortait le soir. Franck ne voulait pas en rester là, il avait besoin de comprendre, il devait savoir. Il avait eu affaire à… à quoi? Des chiens doués de parole, des mutants à qui on avait conféré le droit de vie et de mort sur les citoyens. Il interrogea sans relâche ses proches, des amis d'amis et même de simples connaissances. Petit à petit, les langues se déliaient. Il apprit ainsi l'existence de la SSS, la Section spéciale de sécurité.
Depuis quelques années, les policiers ne parvenaient plus à contenir les manifestations de colère, les actes de rébellion dans les quartiers défavorisés, jugeait-on en haut lieu. Aussi le ministère de l'Intérieur avait-il décidé la création d'une unité d'élite surentraînée, des guerriers, secondés par des chiens dressés pour le combat. Ce fut un échec. On reprochait à ces commandos leur brutalité, les bavures. Leurs interventions ne faisaient que raviver la contestation. En contrepartie de subventions supplémentaires qui sauveraient leur département de la fermeture, deux scientifiques du Centre national de la recherche génétique greffèrent dans le cortex cérébral de boerbulls soigneusement sélectionnés des neurones générés en laboratoire à l'aide de cellules souches humaines. Ils obtinrent ainsi une race de chiens d'attaque au quotient intellectuel certes limité mais suffisant pour remplir la tâche qu'on attendait d'eux: rétablir l'ordre en faisant régner la peur. L'expérience avait porté ses fruits. La violence organisée s'était substituée à la révolte.
Photo: YLD

samedi 27 novembre 2010

Adieu, ma jolie


Fred était l'un des plus anciens et des plus fidèles lecteurs de Laurie Rompol. L'un des plus fervents admirateurs de Sam Lowe. Depuis dix ans, ils en avaient vu, Sam et lui. Il faut dire que Sam avait le don de se fourrer dans le pétrin en allant fureter où il ne fallait pas. Il pêchait toujours en eaux troubles, Sam, avait des accointances avec tous les malfrats, les crapules, les fripouilles que comptait New York, frayait avec les petits frappes, les avocats véreux, les hommes d'affaires louches, les politiques corrompus. Pas un pourri, un idéaliste déçu: la vie avait de bonne heure flingué ses nobles illusions. Désabusé, lucide, Sam faisait son boulot, avec ses principes à lui, qui se bornaient souvent ne pas enfoncer celui qui avait déjà la tête sous l'eau.
La romancière avait annoncé, dans une interview au magazine littéraire A livre ouvert, que son dernier opus sortirait le mois prochain. Et ce serait bien le dernier, avait-elle insisté, expliquant qu'elle comptait mettre un point final à la carrière de Sam. Elle promettait à ses lecteurs une nouvelle série policière, plus actuelle et dont le héros, qu'elle souhaitait plus proche des jeunes générations, s'interdirait tout accroc à la morale.
Fred ne décolérait pas. Sam, que l'incorruptible juge Goodman n'avait jamais pu coincer, qui avait échappé aux traquenards de cette enflure de commissaire Copard, allait se faire refroidir comme un rien. Il y avait maldonne! Fred voulait en avoir le cœur net. Il dénicha l'adresse de Laurie Rompol sur l'un des trois forums où se retrouvaient les fans de Sam, puis appela Raoul, toujours prêt à donner un coup de main quand il s'agissait d'empocher quelques billets.
Tout était silencieux au cinquième étage de l'immeuble où habitait la romancière. Fred laissa opérer Raoul, puis ouvrit la porte avec précaution, tâtonna pour trouver l'interrupteur et erra d'une pièce à l'autre à la recherche du bureau. L'ordinateur de Laurie trônait sur une table en verre fumé, voisinant avec un cadre photo numérique où défilaient un grand blond à l'allure sportive, un gamin d'une dizaine d'années, un couple âgé et une bande de copains rieurs. Ça ne collait pas avec Sam, ces trucs-là.
Fred se cala dans le fauteuil qui faisait face au Grand Ordonnateur de la destinée de Sam, se leva, fit le tour de la pièce, sortit une cigarette de son paquet, l'écrasa immédiatement dans le pot du cactus qui languissait dans la grisaille automnale. Allez Fred, du cran. Il alluma l'ordinateur, fouilla, fouina dans les fichiers. Celui-là avait l'air d'être le bon. Il fit défiler le texte. Ce salaud de Copard l'avait eu, Sam agonisait.
Tiens le coup, Sam, murmura Fred d'une voix blême.
Le lendemain, les médias étripaient ces vandales qui, non contents d'avoir dérobé le manuscrit, privant les lecteurs des derniers instants de Sam Lowe, avaient gravement endommagé le disque dur de l'ordinateur de Laurie Rompol, réduisant à néant toute chance de récupérer les précieux fichiers. C'est le polar qu'on assassine, s'indignait un critique littéraire, donnant, malgré lui, son titre au texte, qui, le soir même, circulait sur le Net en téléchargement libre.
Cette fois, Sam avait bien failli y rester. Il s'en était tiré, mais il n'en avait pas encore fini avec cette sale histoire.
T'as voulu me faire la peau, hein Laurie! T'as pas l'envergure, ma petite. T'auras pas le dernier mot… (A SUIVRE)
Photo YLD

lundi 27 avril 2009

Dies irae



Huit heures, je rentre du boulot. J'allume machinalement la télé. Tout en épluchant mon courrier et en rangeant quelques vêtements abandonnés le matin sur le canapé faute de temps, je jette un regard distrait au journal télévisé. Ce soir-là, en sujet d'ouverture: le conflit à Continental. «Dans l'après-midi, les salariés de l'usine Continental de Clairoix ont saccagé les bureaux de la sous-préfecture de Compiègne et le poste d'entrée de l'usine. Ils venaient d'apprendre que le tribunal validait la fermeture de leur usine en 2010.» A l'écran, vitres brisées, ordinateurs et tables renversés. Colère et détresse.
Sur le plateau, le journaliste vedette présente son journal… comme on présente le 20 heures sur une grande chaîne nationale: Est-ce que ça ne va pas trop loin? Vous regrettez ces violences? Pour vous, la fin justifie les moyens?

Sur le site de Clairoix, Oise, un délégué syndical lui oppose l'opiniâtreté du désespoir:
Vous plaisantez, j'espère! Qu'est-ce que vous voulez qu'on regrette? La fin pour nous c'est dans 28 jours. Vous n'avez pas vu des casseurs, vous avez vu des gens en colère, des gens déterminés, on ira jusqu'au bout de notre bagarre. On veut pas crever.
Quand on a plus que la colère pour ne pas abdiquer sa dignité.
Photo YLD