dimanche 19 juin 2016

Traître mot

Les mots, nous sommes de connivence, avais-je affirmé, présomptueuse (Sens dessus dessous). Cadavre exquis, chamboule-tout étymologique, tohu-bohu sémantique, me soufflaient-ils à l'oreille. Je m'y prêtais de bonne grâce. Après tout, qu'est-ce que je risquais, ce n'était qu'un jeu. Un jeu? ricanèrent-ils. Je leur souriais d'un air entendu, les laissais prendre leur aise. Ils m'entraînèrent dans leur badinage syntaxique, leur libertinage lexical. Je me livrais à leur dévergondage hyperbolique, à leur débauche synecdotique avec délectation. Insidieusement, ils squattaient l'aire de Broca. Ils s'incrustaient, réaménageaient le cortex à leur convenance, renversaient le vocabulaire, culbutaient la grammaire. J'étais leur prisonnière volontaire, leur otage consentante.
Et puis, plus qu'une voix discordante.
— De toute façon, tu n'as rien à dire.
— Peut-être, mais je tiens à ma liberté d'expression.
— Récrimination ou pure rhétorique?
— Je ne… oh,non! Mais vous…
— Aposiopèse.
Ils s'étaient bien joués de moi.
Félons, judas, traîtres!
Fade épitrochasme, raillèrent-ils.
Et voilà comment d'hypotypose en synchise et d'hendiadys en brachylogie, je suis devenue une aberration langagière, une extravagance linguistique.
Photo: YLD, Zoo Project, Montreuil