dimanche 9 novembre 2014

Ladies

Elle gisait nue, inconsciente, lorsque des randonneurs la découvrirent dans un petit bois des environs de Toulouse. Son jogging, son t-shirt et ses baskets jonchaient à quelques pas d'elle. Son corps ne portait aucune trace de coups et elle n'avait pas été violée, on ne lui avait rien volé. Son agresseur l'avait endormie à l'aide d'une fléchette soporifique, comme celles qu'on utilise pour capturer des animaux, l'avait coiffée et maquillée avec soin. Elle n'avait croisé personne dont le comportement aurait pu l'inquiéter, affirma-t-elle aux policiers qui l'interrogeaient, seulement des joggers et aucun ne l'avait importunée ni ne lui avait même adressé la parole. La deuxième victime, de taille et de corpulence semblables à celle de la jeune Toulousaine, fut abandonnée dans un parc de Lyon. Nue, inconsciente, soigneusement coiffée et maquillée. Elle n'avait pas subi de violences et rien ne manquait dans son sac à main. Il y en eut une troisième, dans un parking souterrain de Lille. Puis d'autres, sur la plage de Carteret, dans un hammam parisien, au camping de Millau. La dernière en date venait d'être retrouvée près de l'aéroport de Marseille, dans un taxi volé la veille. Aucun indice, pas une piste, quant au mobile…
Il regagnait Paris par la nationale. Vers une heure du matin, il s'arrêta dans un bar-tabac. Prit un café pour se réveiller. Un lecteur de CD posé sur le bord du comptoir diffusait une vieille chanson. 1970, 75? Et si tu n'existais pas/Je crois que je l'aurais trouvé/Le secret de la vie, le pourquoi/Simplement pour te créer/Et pour te regarder.
Je vous présente Laurina. C'était la plus réussie. Il maîtrisait maintenant le modelage du silicone qui lui permettait de reproduire à l'identique la femme que la photo avait capturée, l'implantation des cheveux, l'architecture du chignon, le maquillage. Laurina était la plus jolie, mais toutes lui plaisaient. Il passait ses soirées en leur compagnie, dans la chambre du premier étage. Il s'asseyait dans son fauteuil en face d'elles. Il regardait Laure, Laurie, Laurine, Laureline, Laurene, Laurane, Lauriane, Laurina, minutieusement, intensément. Il explorait leurs traits finement ciselés, la courbe gracieuse de leur cou, sondait leurs grands yeux rêveurs et leur sourire séraphique, parcourait les lignes souples de leur corps qu'épousait un fourreau en velours rouge. Il n'avait plus besoin de s'adonner à ces tripotages abjects, de supporter ces ahanements bestiaux, ces odeurs fétides de chairs viciées. Il les contemplait, sensuelles et chastes. Une fois encore, il ausculta, inventoria leur plastique. Elles étaient toutes belles, Laura, elle, sera parfaite.
Photo: YLD, Thomas Hirschhorn, Flamme éternelle