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mardi 2 janvier 2018

Dérobade



Elle est jolie Audrey. Des yeux noisette si lumineux quand elle rit, virant au bronze dès qu'elle est chagrinée ou fâchée. Romanesque, sans fausse pudeur. Ce soir, vous prenez plaisir à la regarder, probablement parce qu'elle s'éloigne de vous, ayant renoncé à vivre avec une ombre. Pas tout à fait. Vos sentez qu'elle n'a pas encore abdiqué. Elle fait mine de vous délaisser pour mieux vous adjurer de la retenir. En vain. Absent, fantomatique, en pointillés, vous a-t-elle reproché. Juste en disponibilité, avez-vous rétorqué. La vie vous effleure. Vous accueillez ce qui advient et ignorez le reste. Vous dédaignez ce qui ne s’offre pas à vous. Vous vous arrogez le droit à l'indifférence, vous octroyez la jouissance de l'indolence, le bonheur de la paresse sentimentale, de l'inertie affective. Ne rien faire, ne rien vouloir. Recevoir, savourer. Et oublier.
Oui, elle est jolie Audrey, pétulante et malicieuse. Vous n'en êtes plus ému. Vous le constatez, négligemment.Vous l'aviez fantasmée Hepburn. Vous vous êtes attardé, vous hasardant quelque temps dans son quotidien. Il n’y avait tout simplement, trop banalement, qu’Audrey. Rompre, vous pourriez en prendre l’initiative si vous ne craigniez de vous ennuyer ferme. Expliquer, argumenter, justifier, ça complique les choses inutilement. C’est fini, voilà tout. Vous attendez, impassible, qu’Audrey ait usé ses dernières illusions. Elle abandonnera, de guerre lasse. L’expression vous plaît assez…
Et vous songez déjà à Scarlett.
Photo: YLD




vendredi 21 août 2015

Ça se voit à son sourire

Belle? Aimée? En tout cas, regardée, dévisagée, contemplée. Des milliers et des milliers d'hommes, de femmes de tous âges se pressent devant moi, se bousculant pour m'approcher, m'observent, me détaillent. Beaucoup capturent mon image. Je ne m'en soucie pas. Certains font mine de bien me connaître.
Elle se trouve probablement dans une loggia: on peut voir un parapet juste derrière elle au premier tiers du tableau, ainsi que l'amorce de la base renflée d'une colonne sur la gauche. À l'arrière plan se trouve un paysage montagneux dans lequel se détachent un chemin sinueux et une rivière qu'enjambe un pont de pierre. Elle est habillée d’une robe sévère très sombre, plissée sur le devant du buste, dont les fils d'or brodés forment des entrelacs. Le décolleté dégage le cou et la poitrine jusqu'à la naissance des seins. Elle n'arbore aucun bijou. Une écharpe descend de son épaule gauche et les manches jaunes de son vêtement forment des plis nombreux sur ses avant-bras. Elle porte un voile sur ses cheveux défaits.
Tous essaient de me percer à jour.
Une femme assise sur un fauteuil de forme semi-circulaire seine Hände sind gekreuzt, auf einem Stuhl Arm ruht her bust facing right ヘッドほとんど顔 sido överblick su rostro se sitúa en un paisaje con horizontes lejanos y nebuloso. Je ne sais pas ce que vous attendez de moi, mais toujours revient ce sfumato, dont vous me gratifiez, d'un ton tantôt docte ou admiratif, tantôt déconcerté ou embarrassé. Je m'amuse de votre perplexité.
Mon regard, qui vous fixe impudemment où que vous soyez, vous intrigue. Mon sourire énigmatique, fugace, ambigu, vous fascine. Vous me voyez heureuse, triste, indifférente, hautaine. Mystérieuse. Vous m'avez voulue connectée? Vous voici mon songe virtuel, mon rêve numérique. 
Jean-Jacques Lapoirie, photo: YLD 
livingjoconde.fr

dimanche 7 décembre 2014

Quidam morosus


Le restaurant était bondé. Il patienta quelques minutes près de l'entrée. On l'installa à la première table qui se libéra. Il parcourut la carte. Pavé de saumon à l'oseille. Lapin chasseur.
Se rabattit sur un steak-frites-bière.
Le serveur lui confirma qu'aujourd'hui le temps resterait à la pluie.
Attablé à sa droite, un homme s'enquérait des nouvelles du monde. Le typhon Hagupit balaie les Philippines Aux Etats-Unis, la justice en accusation Une Ch'ti sacrée Miss France.
A sa gauche, la grande brune d'un trio de jeunes femmes racontait ses démêlés avec Clem et là tu vois j'ai envie de dire parce qu'à la base non mais clairement.
Un grand écran plasma sur lequel se déhanchait une chanteuse de R&B sollicitait le regard. Son coupé. Gestuelle.
Il consulta son smartphone. 20h30 à Tokyo; 15h30 à Abu Dhabi; 6h30 à Washington. 27 degrés à Rio. 1 dollar vaut 0,8136 euros.
Une jolie fille s'assit au bar. Son vernis à ongles était écaillé.
Il en fut attristé.
Photo: YLD; création d'Ora Adler

dimanche 9 novembre 2014

Ladies

Elle gisait nue, inconsciente, lorsque des randonneurs la découvrirent dans un petit bois des environs de Toulouse. Son jogging, son t-shirt et ses baskets jonchaient à quelques pas d'elle. Son corps ne portait aucune trace de coups et elle n'avait pas été violée, on ne lui avait rien volé. Son agresseur l'avait endormie à l'aide d'une fléchette soporifique, comme celles qu'on utilise pour capturer des animaux, l'avait coiffée et maquillée avec soin. Elle n'avait croisé personne dont le comportement aurait pu l'inquiéter, affirma-t-elle aux policiers qui l'interrogeaient, seulement des joggers et aucun ne l'avait importunée ni ne lui avait même adressé la parole. La deuxième victime, de taille et de corpulence semblables à celle de la jeune Toulousaine, fut abandonnée dans un parc de Lyon. Nue, inconsciente, soigneusement coiffée et maquillée. Elle n'avait pas subi de violences et rien ne manquait dans son sac à main. Il y en eut une troisième, dans un parking souterrain de Lille. Puis d'autres, sur la plage de Carteret, dans un hammam parisien, au camping de Millau. La dernière en date venait d'être retrouvée près de l'aéroport de Marseille, dans un taxi volé la veille. Aucun indice, pas une piste, quant au mobile…
Il regagnait Paris par la nationale. Vers une heure du matin, il s'arrêta dans un bar-tabac. Prit un café pour se réveiller. Un lecteur de CD posé sur le bord du comptoir diffusait une vieille chanson. 1970, 75? Et si tu n'existais pas/Je crois que je l'aurais trouvé/Le secret de la vie, le pourquoi/Simplement pour te créer/Et pour te regarder.
Je vous présente Laurina. C'était la plus réussie. Il maîtrisait maintenant le modelage du silicone qui lui permettait de reproduire à l'identique la femme que la photo avait capturée, l'implantation des cheveux, l'architecture du chignon, le maquillage. Laurina était la plus jolie, mais toutes lui plaisaient. Il passait ses soirées en leur compagnie, dans la chambre du premier étage. Il s'asseyait dans son fauteuil en face d'elles. Il regardait Laure, Laurie, Laurine, Laureline, Laurene, Laurane, Lauriane, Laurina, minutieusement, intensément. Il explorait leurs traits finement ciselés, la courbe gracieuse de leur cou, sondait leurs grands yeux rêveurs et leur sourire séraphique, parcourait les lignes souples de leur corps qu'épousait un fourreau en velours rouge. Il n'avait plus besoin de s'adonner à ces tripotages abjects, de supporter ces ahanements bestiaux, ces odeurs fétides de chairs viciées. Il les contemplait, sensuelles et chastes. Une fois encore, il ausculta, inventoria leur plastique. Elles étaient toutes belles, Laura, elle, sera parfaite.
Photo: YLD, Thomas Hirschhorn, Flamme éternelle

dimanche 19 octobre 2014

Zapping


Elle vague d'un bout à l'autre du quai. Roulis dans sa minirobe en dentelle blanche, ondoiement sur ses escarpins dorés, léger déhanchement, pivotement sur la pointe des pieds, demi-tour. Elle défile parmi les usagers. Les gens la voient mais ne la regardent pas. Elle scrute leur indifférence, s'attarde, insiste. Elle parade, se pare outrageusement de leur désamour. Les gens la voient mais ne la regardent pas. Ils ne peuvent pas l'avoir oubliée. Cindy, élue Star&Belle, il y a deux ans à la télé. Cindy, qu'on entendait partout l'été dernier, à la radio, dans les boîtes, sur les plages. Je suis tombée love, love, je veux t'aimer, te kiffer, toute ma life… En couverture de People, de Voilà, de Celebrity News. Les gens la regardaient alors, les hommes la désiraient, les femmes la jalousaient. Les gens la regardaient, elle ne les voyait pas, elle guettait son image dans leurs yeux. Leurs regards se sont éteints. Elle va se mettre à danser et à chanter sur le quai. Les gens la regarderont, la verront, la reconnaîtront. Elle danse et elle chante. Les gens la regardent. Pitié mêlée d'ironie, sourires moqueurs, froncements de sourcils agacés, hochements de tête gênés. Elle danse devant celui-ci et devant celle-là. Puis elle ne danse plus. Elle chante encore et elle dévisage celle-ci et elle toise celui-là. Elle ne danse plus, elle se plante devant ceux-là que leur bouquin journal musique jeu SMS jacassements téléphoniques aveuglent. Elle ne chante plus. Voix passive. Les gens la regardent, et ils ne la voient pas. Les gens la regardent. Elle ferme les yeux. Elle ne veut plus les voir.

Photo YLD; Keith Haring, Roi et Reine

samedi 16 mars 2013

A mon corps défendant

Les bras et les jambes maculés de bleus. Les genoux, les chevilles et les épaules douloureux. Chaque fois que j'entre dans la chambre, la pièce se rapetisse, se recroqueville. Nous n'avons plus assez de place pour nous deux dans cet espace étriqué. Son regard incisif et son sourire acéré disent assez qu'elle entend y résider en majesté. Chacune de mes intrusions aiguise sa jalousie, décuple sa férocité. Les coups pleuvent. Gifles, griffures, coups de pied. Elle me pince, me tire les cheveux, me mord. Je me plaque contre les murs, louvoie pour atteindre mon lit, me faufile jusqu'à l'armoire, essayant de me tenir à distance respectueuse, de maintenir une zone de sécurité entre elle et moi. Mes manœuvres échouent. Elle déjoue mes ruses et reprend l'offensive. Je tente une parade. Elle riposte par une feinte et porte une touche. Exténuée, je bats en retraite. Tous les matins, je dois lui disputer un chemisier, lui arracher un pantalon, lui extorquer une robe, lui soutirer un pull. Embusquée dans le miroir de la penderie, elle s'acharne à m'enlaidir. Elle me renvoie l'image amochée d'une silhouette aux lignes heurtées. Le désolant reflet d'une féminité en perdition.
Tu te veux une femme séduisante, moulée dans mes corsages qui dévoilent tes rondeurs excitantes, gainée dans mes minijupes qui soulignent tes courbes appétissantes. Tu t'ingénies à m'incarcérer dans ce corps accidenté. Tu mens. Ce n'est pas moi. Pas moi!
Photo: YLD, La Tentation de saint Antoine, J. Bosch

dimanche 17 février 2013

Rémanence

Non, je n'en ai pas.
Ah! Mais pourquoi?, s'enquit Louise.
Je n'en ai pas, c'est tout.
Lydie n'avait plus de miroir chez elle, parce qu'il n'y avait plus personne pour s'y regarder. La silhouette qu'elle croisait furtivement dans la glace des toilettes du bureau ou dans celle de la cabine d'essayage des magasins n'était qu'un substitut, qui se chargeait des relations sociales. Depuis que c'était arrivé, elle était un travestissement d'elle-même. Ce soir-là, il s'était emparé d'elle, corps anonyme avec lequel il avait trompé son impuissance à être. Il ne la désirait pas, ne cherchait pas une aventure; juste un moyen. Il l'avait laissée là comme on abandonne une vieille fripe souillée. Peu à peu, le corps de Lydie oubliait, mais elle ne cessait de se cogner à la psyché du salon, où s'étaient figés les yeux avides de l'homme, sa bouche crispée pendant qu'elle se débattait, sa face grimaçante, abêtie, de besogneux, le rictus hideux du soulagement. Chaque matin, le miroir de la salle de bains lui jetait à la figure les narines dilatées, les joues flasques, l'acharnement vorace de l'homme. Elle eut peur de rester à jamais sa prisonnière, emmurée dans sa chambre noire. Elle fit voler en éclats l'image immonde. Lentement, prudemment, Lydie recomposait son visage, se le réappropriait, sortait de l'indifférencié où l'homme l'avait entraînée. Un jour –bientôt, se promettait-elle–, elle se reconnaîtrait.
Photo: YLD, Lilith, Kiki Smith

dimanche 17 juin 2012

Jeu de rôles

Métro ligne 9, samedi 23 heures. Rousse, tu portais une robe courte fuchsia, des bottines et un borsalino. Grand, blond, Levis noir et veste grise, je me suis assis en face de toi. Sourires. Nos yeux se sont croisés et recroisés. Longs regards. Voudrais te retrouver, te connaître. stef@free.fr

Serais ravie de te revoir. Jeudi 20 heures à L'Ange vert à Ménilmontant, ça te va?

C'est un endroit sympa L'Ange vert, et surtout le bar n'est pas bondé le jeudi soir. Parce qu'il va falloir que j'improvise. Je n'ai jamais vu ce mec. Je suis tombée par hasard sur son annonce dans Libération. J'en ai vraiment marre d'être toute seule. Alors, cette fois-ci j'ai pris l'offensive, je suis passée à l'attaque. Rousse, pas exactement. Plutôt châtain clair. Tant pis, une petite coloration fera l'affaire. Attention, grand, blond, ce doit être lui. Je lui fais un signe de la main. Il marque un temps d'arrêt, puis se dirige vers moi. Stef? Moi, c'est Chris –je n'allais quand même pas dire Christine! La conversation a un peu de mal à démarrer. On commande. Une bière pour lui. Un Schweppes pour moi. Non, une bière aussi. Tu viens souvent ici? Quelquefois. Silence interminable. Tu habites dans le quartier. Pas très loin. Soudain, Stef éclate de rire. D'un seul coup, il est détendu, volubile. Il me raconte qu'il est informaticien, écoute de l'électro, adore le bowling. J'approuve, j’acquiesce, j'opine, je plussoie.
Minuit déjà. Stef doit y aller. Il ne m'a pas raccompagnée, mais m'a laissé son numéro de téléphone. Bien joué, Chris!

C'était pas la fille du métro. Beaucoup moins jolie, même pas bonne comédienne. En plus, toute la soirée, elle s'est obstinée à m'appeler Stef. Je ne supporte pas ça. J'avais l'impression d'être en tête à tête avec un spam: stef@free.fr vous avez été sélectionné pour notre grand tirage au sort. Je croyais qu'elle aurait assez d'humour pour m'avouer son coup monté, qu'elle avait profité de mon annonce pour mettre le grappin sur un mec. Ça m'aurait amusé, elle aurait pu me plaire. Quelle quiche! Tu vas voir Chris, Christine, Christiane, Christelle ou je ne sais quoi d'autre, moi aussi, je peux être mytho. 06 49 64 33 72, c'est le numéro de Gilles. Il est gentil mon cousin, mais tellement timide et casanier qu'à quarante-trois ans il n'a toujours pas pu se trouver une copine. Celle-là, elle est du genre à s'accrocher. stef@free.fr, plus fort que Meetic. EXPDR! 
Photo: FLD


lundi 30 mai 2011

Paradoxal


Lui Nous ne devrions pas y aller.
Elle Il faut que nous sachions. Sinon, nous nous perdrons.
Lui Il suffirait d'oublier.
Elle Nous avons déjà oublié, c'est ce qui nous tourmente.
Lui Je ne reconnaîtrai rien, tout aura changé.
Elle Si rien n'est plus pareil, on pourra recommencer.
Lui On ne recommence jamais. On vit avec ou sans, ce qui revient au même.
Elle Non. Tu me désarmeras, je t'apaiserai…
Lui Cette terrible volonté, toujours, d'avoir raison contre la réalité.
Elle Mon rempart contre ta féroce obstination à abjurer nos possibles, à t'enferrer dans la fatalité.
Lui Comme il fait beau! Nous n'aurions pas dû y aller en été. Cet hiver peut-être…
Elle Tu ne peux donc jamais lâcher prise, tu veux l'extrême, l'irrémédiable.
Lui Il aurait suffi que tu me regardes pour que ça n'arrive pas…
Elle Je n'étais pas là.
Lui Justement.
That's me in the cormer Losing my religion Trying to keep up with you… That was just a dream
Photo: YLD, Estompes, Carole Szwarc

mardi 11 novembre 2008

Quiproquo

Il était là et me regardait fixement, attentivement, avec intérêt même. Il n'y avait aucun doute, c'était bien moi qui attirais ses regards. Je le sentais. Je le savais. Il était assis dans le café et m'observait, obstinément. Ce que j'apercevais de lui me confirmait que ce n'était pas une vieille connaissance, depuis longtemps perdue de vue, qui se demandait si c'était bien moi avant de se décider à me faire un signe de la main. Non. Un parfait inconnu. Fallait-il l'ignorer ou aller vers lui, tenter la rencontre? La curiosité fut la plus forte. Je m'approchai, et là, je reconnus ce célèbre joueur de football dont l'image, grandeur nature, était collée sur la vitre du café et qui, imperturbable, ne me quittait pas des yeux.

Photo YLD