dimanche 2 mai 2010

Playtime


Ça ne se fait pas. On ne disparaît pas du jour au lendemain sans un mot d'explication. Que tu n'aies pas jugé utile d'indiquer à ton patron les raisons de ta démission, que tu te sois contenté d'envoyer une lettre des plus lapidaires à tes parents, que tu te sois abstenu d'en avertir les autres copains, je veux bien. Mais ne rien me dire à moi, ton meilleur ami, ton alter ego! Un accident, une dépression, le syndrome de Korsakoff, j'ai tout envisagé. Pendant des mois, j'ai exploré les hôpitaux, les établissements psychiatriques, les maisons de repos; j'ai lancé des avis de recherche, diffusé ta photo dans les journaux, sur Internet; j'ai placardé ton portrait dans tous les lieux publics. Wanted, je veux retrouver mon pote. Ah, tu as bien dû te marrer, mon salaud!
Et puis il y a environ deux mois, j'ai compris. Le Salon du livre allait ouvrir ses portes. Les magazines littéraires et les pages culturelles des quotidiens annonçaient, comme chaque année, les noms des belles plumes qui honoreraient cette manifestation de leur présence. L'information fut lancée sur Twitter, puis plusieurs blogs firent peu à peu allusion à la participation exceptionnelle d'un certain Mark Danasen, dont l'œuvre transcendait tous les mouvements artistiques actuels, assurait-on ici et là. Les forums commencèrent à bruire de critiques élogieuses, de recommandations enthousiastes, qui ne tardèrent pas à se convertir en une véritable adulation: Mark Danasen est colossal, immense, magistral, une personnalité sublime, inouïe, prodigieuse… et un parfait inconnu. Les éditeurs fouillèrent en vain la masse de manuscrits reçus et refusés, aucun galeriste ne se souvenait avoir vu une quelconque création signée de ce nom. Sur le Net, on ne pouvait découvrir que quelques bribes de la production du déjà cultissime démiurge. Et pour cause, arguaient ses thuriféraires, puisque Mark Danasen n'est évidemment pas un simple écrivain-plasticien, aussi génial, aussi original fût-il. C'est un performer complet qui a élaboré un concept phénoménal: le sonic writfism –soit l'intrication du noise, de l'activ writing et du graphism design, plus précisément le motion design–, que l'on abrégea bientôt en sofism.
Si Mark Danasen et le sofism alimentaient toutes les conversations, toutes les rubriques, toutes les chroniques, personne n'avait encore pu en admirer la moindre réalisation. On épluchait les catalogues des expositions d'art contemporain, on décortiquait les programmes des concerts de musique alternative attendant fébrilement le jour où, enfin, Mark Danasen livrerait la première expression de son génie. Alors quand l'incroyable nouvelle tomba, le Web frisa l'hystérie: le 30 juin, Mark Danasen sera sur scène à Londres avec les Residents pour un live unique.
D'accord, mon hoax n'est pas aussi sophistiqué que ton sonic writfism, mais les Residents, j'étais sûr que tu pigerais tout de suite (ils sont toujours les plus grands, hein?). C'était trop tentant de te prendre à ton propre jeu. Allez, mec, in Mark Danasen I trust.
Photo YLD (merci Tristan)

2 commentaires:

Philippe a dit…

changement de style et ben...y'en a sous la plume...çà me rappelle les textes que j'aime bien des fois entendre sur une des émissions qui me font revenir sur Inter des fois " Au delà de cette limite..." Encore...

Yola Le Douarin a dit…

Merci. Voilà ce qu'il me faudrait, une petite rubrique sur Inter. Je vais creuser l'idée :)