dimanche 14 novembre 2010

Abracadaboum


Un flot continu de voitures, de camionnettes de livraison, de scooters s'écoule dans l'avenue, déchiré à intervalles réguliers par le vrombissement impatient d'une moto, le klaxon furibond d'un taxi ou la sirène autoritaire d'une voiture de police. Sur le trottoir évolue un ballet incessant d'hommes d'affaires suspendus à leur téléphone, d'employés pressés et de touristes grands reporters, l'appareil photo en bandoulière. Laissant flotter mes pensées, le regard attaché à une silhouette, une démarche, je savoure ma pause cigarette.
Une femme s'arrête près de moi, ramasse quelque chose et s'enquiert C'est à vous? Vous l'avez fait tomber? Je la remercie de son attention, mais, non, la bague qu'elle me tend ne m'appartient pas. On dirait de l'or, n'est-ce pas? insiste-elle en examinant l'anneau. L'or, c'est la chance. Je te la donne, poursuit-elle, passant sans raison apparente du vous au tu. Je suis tentée de refuser, je la trouve assez laide cette bague, trop grosse, trop tape-à-l'œil. Finalement, j'accepte l'offrande. Après tout, on ne boude pas sa chance. Mon interlocutrice me jauge. Qu'attend-elle? Que d'un coup de baguette magique je fasse apparaître un monceau de louis d'or, que, par enchantement, je commuerais en autant d'aubaines et d'heureux auspices? Car ça ne fait aucun doute, ce n'est pas de l'argent qu'elle réclame, elle convoite la bonne fortune. Et elle a jeté son dévolu sur moi. J'esquisse un sourire forcé, cherchant la formule qui me délivrera du sortilège. Je t'ai accordé la chance; à toi, maintenant, s'obstine la perfide solliciteuse. Je fouille nerveusement dans la poche de ma veste, en quête de quelque gri-gri à échanger. Mes doigts rencontrent un Kleenex, un vieux ticket de cinéma, mon briquet, un jolie porcelaine ramassée le week-end dernier sur la plage d'Etretat. Abracadabra, j'ai le talisman! Je lui propose mon coquillage. Le charme n'opère pas. Tu triches avec la chance, m'incrimine la maudite quémandeuse. Je ne parviens pas à déchiffrer le message, ne sais pas décrypter le code, ne possède ni la clé ni la serrure. Si je ne veux pas être transformée en crapaud, je dois trouver un expédient. Je feins de jeter un coup d'œil affolé à ma montre et, presto subito, tourne les talons. Fondant sur moi, la maléfique me saisit le poignet, m'arrache la bague des mains et déguerpit sans mot dire, s'évaporant dans la foule.
«La chance, c'est une question de veine.» Pierre Dac
Installation Fontaine de la Mare. Photo YLD

5 commentaires:

Depluloin a dit…

Mon Dieu! mon Dieu!! ... Ou comment passer à côté de... Enfin, vous auriez pu connaître l'avenir! Le numéro gagnant du loto! Notre futur président!! ... Pour deux petits euros!! Ah non, non! je ne vous félicite pas!! :)

philippe a dit…

petit moment revécu du mois d'octobre à Montmartre, j'y étais en te lisant, pour finir je vais en griller une...

Yola Le Douarin a dit…

@Depluloin: La faute à pas de chance…
@Philippe: Bonne idée, moi aussi j'y vais.

NLR a dit…

C'est le coup de la bague (en laiton). On me l'a fait sous la Tour Eiffel l'an dernier. En général les gens donnent quelque chose contre, souvent de l'argent – c'est ce que ces Manouches attendent bien sûr. Ça marche sur le principe de la culpabilité (de ne rien donner contre "la chance") et celui de la réciprocité. Il faut croire que pour eux c'est rentable puisque le phénomène ne faiblit pas.

Yola Le Douarin a dit…

@NLR: mais je n'ai même pas pensé -le coup de barre de 5 heures, peut-être!- à lui donner de l'argent. Je cherchais désespérément quelque chose à échanger contre de la chance. Heureusement qu'elle ne tombe pas tous les jours sur des hurluberlus comme moi!