samedi 17 septembre 2011

Animalerie


Je n'étais jamais allée chez Magali. Personne n'allait jamais chez Magali. Pour qu'elle me demande de passer après le travail, elle devait être vraiment mal en point. Ne sachant trop ce qu'elle attendait de ma visite, j'avais fait quelques courses, acheté un bouquet de fleurs. En congé maladie depuis dix jours, elle avait probablement un bon coup de blues. En temps ordinaire, elle n'était pas du genre à se confier. Dire qu'on ne savait pas grand-chose d'elle est un euphémisme. Au bureau, cela alimentait même les plaisanteries sur la double vie de Magali.
Quand Magali m'introduisit dans son salon, une pièce minuscule, il me fallut tout mon tact et ma bonne éducation pour ne rien laisser paraître. J'hésitais entre angoisse et fou rire. L'arche de Noé.
–J'ignorais que tu aimais tant les animaux.
–Ça s'est fait comme ça Je n'ai jamais eu beaucoup de chance avec les hommes. Pourtant, tu vois, je reste fidèle. Tiens Jojo -un basset aux yeux chassieux-, le plus vieux de la tribu, on vit ensemble depuis quinze ans. Mon premier fiancé était chauffeur de taxi. On devait se marier, mais la veille de la cérémonie, il est revenu sur sa promesse, prétendant qu'il n'était pas prêt, qu'il avait besoin de réfléchir, d'ouvrir une parenthèse. Il ne l'a toujours pas refermée. Quand j'ai compris qu'il avait détalé, je n'ai plus eu le goût à rien. Et puis j'ai croisé Jojo, abandonné par ses maîtres en plein hiver. Michou –un canari à la voix cassée–, je l'ai connu juste après. Comptable dans une grosse entreprise, un homme sérieux, avec un bel avenir. Dommage qu'il n'ait jamais pu quitter sa mère. Je suis tombée amoureuse de Riton –un perroquet arrogant–, représentant en parfumerie, élégant, qui savait parler aux femmes. Seulement voilà, il avait une collection de maîtresses et n'entendait pas les sacrifier à une seule. Heureusement, j'ai rencontré Fifi –un fier abyssin– venu tenter sa chance en France; il n'a pas résisté au mal du pays. C'est alors que j'ai fait la connaissance de Loulou –le teckel-plombier–, que sa femme a rapidement ramené à la niche. Je me suis consolée avec Denis –le chinchilla-facteur–, qui rêvait d'aventure; il est parti, sans moi, à la conquête des grands espaces américains. Je n'ai pas su davantage retenir Roland –le hamster-pompier–, et Lulu –le boa-routier. Il ne manque que Diego, un bel étudiant mexicain venu apprendre le français à Paris…
–Diego?
–Un superbe iguane vert. Quand il a atteint presque 2m, je n'ai pas pu le garder. Ça m'a brisé le cœur de le donner à un zoo.
J'ai refusé le thé que me proposait Magali, ai bredouillé «bon rétablissement» et j'ai pris la poudre d'escampette. Sortir de ce cauchemar, retrouver Charles, mon homme à moi.
-Salut ma biche, murmura Charles en m'embrassant.
Photo: YLD

10 commentaires:

L........................uC a dit…

... Et la girafe est à qui alors ? ;o)

Yola Le Douarin a dit…

La girafe, pourvu qu'on la peigne, elle se fiche du reste! :)

F- Chocapic a dit…

J'aime beaucoup cette histoire animalière qui n'a rien de cochon (elle me rappelle 'gros calin' d'Emile Ajar).

Yola Le Douarin a dit…

@F.Chocapic: Oh Mille mercis! Gros Calin est une de mes grandes émotions littéraires. Revenez quand vous voulez!

Viv a dit…

Tu as l'art du délire complètement vraisemblable ! :-)
Je comprends mieux pourquoi, alors que je suis allergique aux poils de pas mal d'animaux, je me suis tâtée dernièrement à l'idée d'en acquérir un. Héhé...

Yola Le Douarin a dit…

@Viv: chacun sa chimère, comme dirait Baudelaire :)

Philippe a dit…

retour et plaisir de te lire à nouveau, merci

Yola Le Douarin a dit…

@Philippe: enfin, te revoilà :)

NLR a dit…

Très bon !

Yola Le Douarin a dit…

@ Nicolaï: merci, j'en r(o)ugis :)