dimanche 17 juin 2012

Jeu de rôles

Métro ligne 9, samedi 23 heures. Rousse, tu portais une robe courte fuchsia, des bottines et un borsalino. Grand, blond, Levis noir et veste grise, je me suis assis en face de toi. Sourires. Nos yeux se sont croisés et recroisés. Longs regards. Voudrais te retrouver, te connaître. stef@free.fr

Serais ravie de te revoir. Jeudi 20 heures à L'Ange vert à Ménilmontant, ça te va?

C'est un endroit sympa L'Ange vert, et surtout le bar n'est pas bondé le jeudi soir. Parce qu'il va falloir que j'improvise. Je n'ai jamais vu ce mec. Je suis tombée par hasard sur son annonce dans Libération. J'en ai vraiment marre d'être toute seule. Alors, cette fois-ci j'ai pris l'offensive, je suis passée à l'attaque. Rousse, pas exactement. Plutôt châtain clair. Tant pis, une petite coloration fera l'affaire. Attention, grand, blond, ce doit être lui. Je lui fais un signe de la main. Il marque un temps d'arrêt, puis se dirige vers moi. Stef? Moi, c'est Chris –je n'allais quand même pas dire Christine! La conversation a un peu de mal à démarrer. On commande. Une bière pour lui. Un Schweppes pour moi. Non, une bière aussi. Tu viens souvent ici? Quelquefois. Silence interminable. Tu habites dans le quartier. Pas très loin. Soudain, Stef éclate de rire. D'un seul coup, il est détendu, volubile. Il me raconte qu'il est informaticien, écoute de l'électro, adore le bowling. J'approuve, j’acquiesce, j'opine, je plussoie.
Minuit déjà. Stef doit y aller. Il ne m'a pas raccompagnée, mais m'a laissé son numéro de téléphone. Bien joué, Chris!

C'était pas la fille du métro. Beaucoup moins jolie, même pas bonne comédienne. En plus, toute la soirée, elle s'est obstinée à m'appeler Stef. Je ne supporte pas ça. J'avais l'impression d'être en tête à tête avec un spam: stef@free.fr vous avez été sélectionné pour notre grand tirage au sort. Je croyais qu'elle aurait assez d'humour pour m'avouer son coup monté, qu'elle avait profité de mon annonce pour mettre le grappin sur un mec. Ça m'aurait amusé, elle aurait pu me plaire. Quelle quiche! Tu vas voir Chris, Christine, Christiane, Christelle ou je ne sais quoi d'autre, moi aussi, je peux être mytho. 06 49 64 33 72, c'est le numéro de Gilles. Il est gentil mon cousin, mais tellement timide et casanier qu'à quarante-trois ans il n'a toujours pas pu se trouver une copine. Celle-là, elle est du genre à s'accrocher. stef@free.fr, plus fort que Meetic. EXPDR! 
Photo: FLD


6 commentaires:

Viv a dit…

Une histoire à l'avenir plutôt compromis... Ça m'a fait penser à "Ce que pensent les hommes", qui est passé l'autre jour à la télé et que j'ai aussi beaucoup aimé : http://www.dailymotion.com/video/x8b6t0_ce-que-pensent-les-hommes-bande-ann_shortfilms

Yola Le Douarin a dit…

@Viv: je n'ai pas vu le film, mais d'après la bande annonce, ça m'a l'air ça, oui.

Anonyme a dit…

Excellent ! Une vraie maîtrise de la forme courte. Une cruauté à la Villiers de l'Isle Adam. Beaucoup de talent et l'envie, chez le lecteur, de courir trouver le reste de vos nouvelles chez un éditeur.

J'ai tout lu. Toutes vos nouvelles. Je suis fan ! Généralement, je m'emmerde sur le Net mais vous, vous valez le détour !

Yola Le Douarin a dit…

@ Anonyme: merci beaucoup de votre visite et de vos compliments. N'hésitez pas à repasser, la porte est toujours ouverte :)

NLR a dit…

Joli Yola. Et en effet vos textes gagnent en densité et en efficacité. Vous avez un style qui se dessine, qui vous est propre, à exploiter donc. (Et bravo aussi pour la régularité quasi métronomique de vos posts bi mensuels.)

Yola Le Douarin a dit…

@Nicolaï: merci de vos compliments et de vos encouragements. Quant au rythme bimensuel, c'est juste que je n'arrive pas à faire plus.