samedi 21 juillet 2012

Tous ego

Quand on se pique d'écrire, on assume. On s'affirme. On est écrivain. Depuis plus de trois ans, elle fait sa modeste, celle qui n'ose pas. Elle n'écrit pas de livres, elle a un blog littéraire. Et moi, je suis là à attendre; oh, pas la célébrité, juste la reconnaissance de mon existence. Car c'est moi qui fais les frais de ses élucubrations intimistes, moi, qu'elle met pernicieusement en scène, qu'elle empêtre dans ses intrigues sournoises, qu'elle accable de crises d'angoisse, de mal-être. Croyez-vous qu'elle aurait pris la peine de me donner une individualité? Elle m'escamote derrière ses «Il», ses «Elle», ses «Je est un autre». Je sens que cette histoire va mal finir. Je n'ai pas oublié ce pauvre Ziggy, foudroyé en pleine gloire, un triste soir de juillet 1973. Je ne me laisserai pas précipiter dans l'abîme de l'oubli. 
Je devais tâter le terrain, savoir s'ils étaient avec moi. Ils ont tous répondu présents: Bernardo Soares, Aladdin Sane, Jean-Baptiste Botul, Alberto Caeiro, Sally Mara, Vernon Sullivan, Omega, Rrose Sélavy, Marc Ronceraille, Carlito Marron, Danielle Sarréra, Alvaro de Campos, Pierre Ménard, Bonnie Prince Billy, Ricardo Reis, Emile Ajar, André Walter, Mercury, Lutz Bassmann… J'avais mijoté mon affaire. J'étais entré en relation avec la Communauté subversive européenne, qui regroupe des artistes, des intellectuels, des programmeurs adeptes du logiciel libre, tous en lutte contre les monopoles, les hégémonies, les suprématies culturelles et économiques. J'espérais qu'ils accueilleraient favorablement mon projet. Leur enthousiasme a dépassé toutes mes attentes.
Et leur stratégie est infaillible. Aujourd'hui, plus personne –bon d'accord, presque plus personne- n'achète de livres papier. On les télécharge sur son iPad ou sur son reader. C'est pareil pour la musique et les films. S'introduire dans les bases de données des éditeurs, des libraires ou des majors du disque pour substituer vos noms à ceux de vos créateurs est une première étape, cruciale, mais insuffisante, insatisfaisante. Vous pouvez obtenir bien plus, bien mieux. Chacun de vous, Vernon, Rrose, Mercury, Emile, Alvaro…, sera une entité plurielle créatrice. N'importe quel internaute aura la possibilité de s'approprier ce que vous avez écrit, chanté, ce que vous avez été, de le modifier, de le faire évoluer et de le faire circuler. Chacun de vous, Sally, Aladdin, Lutz, Jean-Baptiste, Bernardo, Omega…, deviendra un espace de transversalité, et chaque cybernaute en sera le transformateur-redistributeur. Plus que votre émancipation, nous vous offrons l'éternité interactive.
On était tous partants.
Adam, lui, jubilait.
Photo: FLD

6 commentaires:

Fernand Chocapic a dit…

Noooon ! Je ne suis pas un numéro et je ne veux pas devenir un espace de transversalité.

Yola Le Douarin a dit…

@ Fernand: alerte orange, alerte orange…

Anonyme a dit…

"Aujourd'hui, plus personne –bon d'accord, presque plus personne- n'achète de livres papier. On les télécharge sur son iPad ou sur son reader."
______________________

Faut pas z'éxagérer, tout de même ! ;-)

Yola Le Douarin a dit…

@ Anonyme: vous avez raison. Heureusement, les bons vieux bouquins existent encore. C'était juste pour le propos…

Viv a dit…

J'ai beaucoup aimé ce "presque" (plus personne). On veut bien laisser voler son imagination mais on laisse une petite chance à ces bons vieux bouquins papier ;-).

Yola Le Douarin a dit…

@Viv: oui, le contact physique avec le bouquin fait pour moi partie du plaisir de la lecture.