dimanche 9 septembre 2012

La mort du deleatur

Les Goncourt, les Femina, les Renaudot, les best-sellers n'acceptent que lui. Tous louent sa parfaite connaissance de la langue, sa capacité à se couler dans leur écriture, son sens du détail, son goût de la précision, sa vivacité, sa curiosité, son perfectionnisme, son esprit critique. Parce qu'Olivier est un excellent correcteur, ils supportent sa maniaquerie, sa minutie obsessionnelle, sa rigueur pathologique, ses biffures qui mortifient leur amour-propre, ses retouches qui outragent leur susceptibilité. Parce qu'il est le meilleur, ils s'accommodent de son doute catégorique, de son orgueilleuse humilité.
Jeune directrice de collection, Anne a d'emblée été séduite par la compétence d'Olivier, sa culture, son intelligence acérée. Sept ans après leur mariage, elle admire et respecte toujours le professionnel, mais l'homme l’horripile. Elle partage sa vie avec un pur intellect, une figure de rhétorique. Pas un mari, encore moins un amant, elle vit aux côtés d'un trope. Lorsqu'il travaille sur un manuscrit, c'est-à-dire trois cent soixante-cinq jours par an, Olivier expurge tout le reste. Même ses amours sont cérébrales. Ses romances avec Hélène*, Stella**, Violette*** l'ont comblé plus que les tendresses attentionnées d'Anne, en qui il ne voit qu'un pastiche, peu réussi, qu'il s'évertue à amender. Anne sait que, jusque dans la rupture, elle doit peaufiner son style. Aussi s'est-elle assuré le concours d'un maître, et, réunissant son courage, elle aborde Olivier dès la fin du repas dominical:
«Oubliez-moi! Pourquoi faut-il que je vous aie connu? Est-ce ma faute? Ô mon Dieu! Non, non, n'en accusez qu…»
Tu manques de coffre, ma pauvre petite, l'interrompt Olivier. Flaubert, ça se gueule…
Anne est habituée à ce qu'Olivier la mette à rude épreuve. Puisqu'il le prend ainsi, elle l'aura sur son propre terrain, le lui chantera à la manière des pères-la-virgule:
«[guill ouvre] L'[cap] amour est mort entre tes bras »[guill ferme]… [sus] ([par ouvre] je te quitte! [clam]) [par ferme]. Point final.

* Je m'en vais, Jean Echenoz.
** L'Ascenseur, Alain Fleisher.
*** Hyrok, Nicolaï Lo Russo (qui, j'espère, ne m'en voudra pas).


Photo: YLD, fresque de Jef Aerosol.

5 commentaires:

Viv a dit…

Quel pouvoir cet homme ! Même en le quittant, elle n'arrive pas à s'affranchir de son autorité. A sa place, j'aurais plutôt été tentée de lui envoyer un sms plein de fote d' ortograf

Yola Le Douarin a dit…

@Viv: c'était effectivement une autre possibilité

NLR a dit…

Très bon ! (Et bien sûr que non, comment vous en vouloir ? Violette est à la fête, c'est formidable ! ;-)

(J'avais bien aimé aussi cet Echenoz-là, sur la banquise...)

Yola Le Douarin a dit…

@Nicolaï: une sacrée, et belle, personnalité, Violette! (et l'occasion de vous dire que je garde un souvenir très vivant d'Hyrok)

NLR a dit…

C'est gentil, et ça me fait plaisir. Hyrok n'est donc pas tout à fait mort, c'est bien. Puisse-t-il ne jamais mourir tout à fait.