mercredi 1 mai 2013

Cyber eroticus

Un mensonge par omission, un petit arrangement avec la vérité. Depuis quelque temps, le mardi, Jade passe sa soirée au club. Elle a besoin de se détendre, de se relaxer, de déstresser. Ses occupations hebdomadaires, que j'avais inconsidérément estampillées yoga, qi gong, sophrologie ou chant énergétique, la retiennent jusqu'à une heure avancée de la nuit. Le clapotis de la douche, le tintement des flacons de démaquillant m'avertissent de son retour. Cet horaire, bien trop tardif pour une séance de sonothérapie ou un atelier de danse libre, me décide à la poursuivre pour abus de confiance.
Jade arrive chez Gladys –la grande amie Gladys– à vingt heures. Elle en repart une demi-heure plus tard, très élégamment vêtue, et se rend au 60, rue des Jasmins. Elle en ressort à onze heures trente, repasse chez Gladys pour se changer, puis regagne la maison. Le «club» est un endroit discret, fréquenté par une clientèle d'habitués, hommes et femmes. Après un premier contact téléphonique avec la dating manager, j'ai dû remplir un formulaire d'inscription pointilleux, fournir un relevé d'identité bancaire, attendre une semaine que tout soit minutieusement vérifié. Et me voici dans la place. L'ambiance est feutrée, le cadre raffiné, et les prestations… à l'avenant. Corps souple en gel élastomère qui diffuse un parfum aphrodisiaque, peau satinée, bouche soyeuse, ma partenaire est dotée de cent trente programmes, mis à jour tous les six mois. Mieux que le Kama-sûtra! Une expérience déroutante, troublante. 
Bientôt, mes petites excursions érotiques ne me suffisent plus. Je veux savoir quel apollon cybernétique Jade rencontre, quelles fonctionnalités elle active lors de leurs lascives connexions. Mes propres explorations m'ont assez dévoilé la prodigalité des geishas synthétiques pour exciter ma curiosité. Les bioniques hétaïres présentent l'inestimable avantage –ou la regrettable faille– d'ignorer le mensonge. Je ne tarde pas à découvrir l'adonis de Jade, un des rares modèles auquel il est possible d'ajouter, moyennant une petite centaine d'euros, un plugin qui décuple ses capacités. Mais si je préfère, prend-on soin de m'informer, cet Eros multiprocesseur existe aussi en version féminine.
Désormais, Jade a son mardi; j'ai mon jeudi.
Photo: YLD,  tableau de Lika Kato

4 commentaires:

philippe a dit…

Toujours très belle écriture, mais quand je lis çà me tord les boyaux, parce que je voudrais échapper "à la morsure de l'amour". Conséquence je n'arrive plus à écrire quoique ce soit

Yola Le Douarin a dit…

@Philippe:je suis toute chamboulée par ton commentaire…

philippe a dit…

excuse moi si j'ai dit une connerie à pas dire ici, mais c'est quand même signe que ton écriture fait mouche et c'est cela qui est important pas mes états d'âme du moment

Yola Le Douarin a dit…

@Philippe: mais tes commentaires me sont précieux!