vendredi 28 août 2009

Impro


J'ai sept minutes…
Un petit brun élégant –pantalon Giorgio Armani et chemise Paul Smith- s'assied en face de moi, me jette un regard furtif, ouvre un carnet en cuir, et d'un ton doctoral profère:
-Je suis un fervent admirateur de Josquin des Prés.
-De qui?
-Votre méconnaissance est excusable bien qu'assez regrettable. Bien sûr, vous consentiriez à suppléer cette défaillance?
-Pardon? Euh, j'aime beaucoup voyager, et…
De toute évidence, mes centres d'intérêt n'en présentent aucun pour mon interlocuteur. Tripotant son Mont Blanc, il tente, coûte que coûte, de tirer de l'ignorance la pauvre «philistine» qui se morfond devant lui: école franco-flamande, style polyphonique, motet, lamento, et dans un dernier assaut contre l'obscurantisme quelques extraits du répertoire. Trois minutes, une minute. Sauvée! Le gong retentit. Changement de cavalier. Je passe sans transition du fin lettré au cadre commercial dynamique. Cette fois-ci, je suis bien décidée à prendre l'offensive.
-Vous…
Je suis arrêtée net dans mon élan.
-Moi, je suis dans le business. J'ai monté une boîte, je vais m'étendre. Ouais, moi je vais de l'avant.
Je me mets en stand-by. Un sourire, un hochement de tête satisfont mon vis-à-vis, qui se la joue golden boy: je fais de la thune, et puis je suis le boss. Parce que dans la vie…
Gong! Ouf, c'est fini! Je m'accorde encore une chance, une dernière.
Grand, blond, athlétique, doré sur tranche, le numéro trois me passe en revue des pieds à la tête, puis de la tête aux pieds et, conquérant, coupe dans le vif:
-Pas la peine de te fatiguer. J'ai pas besoin de toute cette mise en scène pour séduire une femme.
-C'est bien ça!
Je l'ai dit ex-ac-te-ment comme il faut: «C'est biiiien…ça… Un accent mis sur “bien”… un étirement “biiiien…” et un suspens avant que “ça” arrive.»
Comme toujours, Pablo, mon prof de théâtre, avait vu juste: Mets-toi en situation, m'avait-il conseillé. Tu trouveras, le ton viendra tout seul. Essaie. Tiens, un speed-dating par exemple.
-C'est biiiien…ça…
Photo: '50, éd. de La Martinière

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