samedi 9 juillet 2011

A quelque chose malheur est bon


A cinq ans, il avait eu le coup de foudre pour Sandra. Il lui dessinait des bouquets de fleurs. Elle, intrépide, jouait aux billes avec Bruno.
A dix ans, il avait toujours le béguin. Pendant qu'elle grimpait dans les arbres du jardin avec Laurent, il lui confectionnait des bateaux avec des allumettes, qu'elle accueillait d'un négligent «joli».
A quinze ans, fervent adorateur, il résolvait pour elle les équations du troisième degré que leur infligeait le prof de maths, tandis que, de rock en slow, elle passait des bras de Fabien à ceux de Damien.
L'été de ses dix-neuf ans, enragé de désir, il photographiait frénétiquement Sandra, qui se dorait au soleil avec Pablo, surfait avec Pablo, prenait des bains de minuit avec Pablo.
A trente ans, Sandra et lui étaient mariés, sans qu'il ait bien compris ce qui avait décidé Sandra à le choisir lui. Sandra avait un peu coupé ses cheveux, avait conservé sa silhouette élancée de sportive et son impérieuse frivolité. Elle l'avait convié dans son existence et lui offrait une hospitalité courtoise et attentive. Il l'avait épousée, et son amour s'était dissous dans les prévenances conjugales, dilué dans les égards matrimoniaux. Ils s'étaient composé une vie à l'amiable. Qu'il n'aime plus Sandra, il pouvait l'accepter, mais ne plus être amoureux… Il avait un besoin vital de se corroder dans l'attente angoissante d'un rendez-vous, de sentir la morsure de la jalousie, le cœur meurtri, plus que jamais avide d'espérances.
Il retrouva Sabine sur Copains d'avant. Une fille sympa, mignonne sans plus, plutôt drôle, une bonne copine, quoi. Il lui envoya quelques mails –je me souviens de…, je n'ai pas oublié le jour où…–, auxquels elle répondit gentiment. Il ne lui en fallait pas plus, il insista pour qu'ils se rencontrent. Elle refusa: elle était ravie de renouer avec un ancien camarade, mais il y avait déjà un homme dans sa vie, et elle ne voulait pas le perdre. Elle entendait s'en tenir à des échanges électroniques, amicaux uniquement, et à intervalles raisonnables. Il se plia au diktat de Sabine. Il était à nouveau amoureux. Amoureux et malheureux. Éperdument malheureux.
Photo: YLD


7 commentaires:

Viv a dit…

Uffff, quel beau texte ! Et ces femmes, quelle intelligence ! Autant l'une que l'autre.
Peut-être un chouille utopique et, pourtant, tellement vraisemblable.

Yola Le Douarin a dit…

@Viv: merci. Utopique, je ne sais pas, mais pas complètement ancré dans la réalité, ça sûrement (je me reconnais bien là!)

Philippe a dit…

et oui, amoureux, un état, qui aime t'on, l'amour ou celui ou celle avec qui l'on est? Des fois la frontière se fige, des fois elle floute ses contours et laisse la place à d'autres silhouettes.
belle page, merci.

Yola Le Douarin a dit…

@Philippe: j'aime bien ton idée de la frontière floue et des silhouettes, où se confondent peut-être celui ou celle avec qui l'on est et des amoureux(ses) imaginaires…

philippe a dit…

comme dans une chanson de Brassens, "je veux dédier ce poème..."

Thaddée a dit…

Jeune, il fait penser à Luc L... Etes vous sûre qu'il n'a pas photographié sa femme nue dans une baignoire?
Qu'est devenu le bateau en allumettes? (je les collectionne)

Yola Le Douarin a dit…

@Thaddée: croyez-vous que L… m'en voudra d'avoir dévoilé un peu de sa jeunesse? :) Quant au bateau en allumettes, je le retrouve et je vous l'envoie pour votre collection