samedi 15 décembre 2012

Babouinerie

Nadia se recroquevilla derrière l'écran de son ordinateur. Jérémie rentra la tête dans les épaules. Rémi et Pascal s'engouffrèrent dans l'étude de leur dossier. Sandrine jeta un regard désespéré par la fenêtre, semblant chercher quelque apparition salvatrice qui abrégerait son calvaire quotidien. Marc venait de pénétrer dans le bureau. Faisant fi de la hiérarchie, il s'était institué chef de clan et imposait sa loi sur son territoire. Il distribuait le travail de la journée, octroyait moqueries et rebuffades, prodiguait représailles et vacheries. Pascal portait des chemises de fiotte, Rémi n'achetait que des caisses de branque, Nadia n'était qu'une bégueule et Jérémie un péteux que sa femme faisait marcher sur les mains, quant à Sandrine… Sandrine était une proie si facile, si tentante. Marc la tenait entre ses griffes, l'égratignait de ses sarcasmes, desserrait son étreinte –juste de quoi lui laisser espérer qu'elle pourrait lui échapper–, puis brusquement fondait sur elle et la dépeçait à petits coups de dents. Que quelqu'un fasse mine de relever la tête, se rebiffe ou se cabre, et Marc grondait, grognait, retroussait les babines, montrait les crocs. Des manœuvres d'intimidation répétées et de plus en plus fréquentes firent battre Sandrine en retraite, à bout de nerfs elle démissionna.
Quinze jours après le départ de Sandrine, Christian était lâché dans la jungle. Marc en rugissait de plaisir. Il flairait le gibier de choix, non pas un pauvre petit animal effarouché, mais un type posé, solide, un adversaire à sa mesure. Il cherchait à l'exciter à force de railleries, le provoquait du regard. Il se postait à l'affût, attendant le moment propice de lui sauter à la gorge. Il voulait un combat féroce, il lui fallait recevoir devant toute la harde la soumission de ce congénère qui lui en imposait. Un matin, l'affrontement eut lieu. Christian se leva de son bureau, se campa devant Marc et, le toisant de haut, décréta d'une voix impérieuse Ça suffit! Marc s'effondra sur son siège. Vaincu, mais soulagé. Il n'était plus le mâle dominant.
Photo: YLD, Speedy Grafito.

2 commentaires:

Viv a dit…

Ah, les limites, toujours aussi saines et bénéfiques !

Yola Le Douarin a dit…

@Viv; et parfois indispensables!